Gros, gros coup de cœur pour cette BD d’Adrian Tomine. Ce recueil de six histoires (in)dépendantes les unes des autres met en scène des gens ordinaires, pas forcément plus malmenés que d’autres dans leur quotidien mais qui peinent à trouver leur place. Ils éprouvent le sentiment d’être « à côté » et se considèrent comme des intrus à ce qui régit notre société moderne : la réussite matérielle bien sûr, mais aussi, et surtout – et c’est là le plus douloureux et le plus inatteignable – la réussite affective et l’épanouissement personnel. Cette « dépression latente » (sic l’éditeur), ce vide existentiel, sont magnifiquement mis en images par Adrian Tomine. Chaque histoire a sa tonalité graphique (Tomine alterne le noir et blanc, la couleur, les strips, les cases plus grandes et contemplatives, les hors- champs…) conférant ainsi à ses personnages une belle présence les rattachant au monde.
Difficile de préférer une histoire à une autre. Chaque histoire est forte, singulière ( Tomine a le chic pour souligner le bizarre dans le quotidien), et fait de ses personnages de vraies personnes, dont les pensées et actes ne sont pas toujours très glorieux mais dans lesquels on se reconnaît indéniablement. Cruel, mais jamais cynique, Adrian Tomine met à nu nos faiblesses.
La nouvelle Tuer et mourir est magnifique. Elle est très dure car elle met en scène les doutes d’un père au sujet du talent comique de sa fille, mal dans sa peau et bègue, qui s’est lancée dans le stand-up. Elle suit des cours à l’université qui a créé un module « apprentis de la vanne » ! Il lui dit clairement qu’il est « opposé au ridicule ». Il n’est pourtant pas un monstre, on comprend vite qu’il veut la protéger car oui, sa fille n’est pas drôle et se fait siffler sur scène. Il y a une grande honnêteté et un grand respect à ne pas toujours encourager sa progéniture et à stopper des rêves. La dernière page est superbe : tous deux se font face, la fille recoiffe affectueusement son père, ils se sourient, unis.
La nouvelle Traduit du japonais m’a également beaucoup touchée. Une mère et son fils quittent le Japon pour une nouvelle vie aux Etats-Unis. Tout est à reconstruire, dans un environnement « inhabituel et misérable », dans un tout petit appartement. C’est raconté à la première personne, on lit la voix de la mère, et pas une seule fois on ne voit les protagonistes de l’histoire. Ils restent hors-champs, on ne voit que des décors qui illustrent un sentiment de solitude et d’étrangeté (un aéroport, un bar au bord d’une autoroute, un immeuble gris de banlieue, une ville éclairée la nuit…) et on voit aussi des objets appartenant à l’enfant (le doudou, une couverture, des bonbons) traduisant une grande tendresse maternelle et un déchirement.
Et il y aurait encore tant d’autres choses à dire sur les autres histoires ! C’est très beau et en plus le livre en lui-même est un bel objet : cartonné avec une couverture à rabat très soignée, et qui sépare chaque histoire avec une page de couleur différente.
Merci beaucoup les éditions Cornélius d’avoir publié cette excellente BD !
Editions Cornélius coll. Pierre
Sorti en octobre 2015
Traduit par Eric Moreau
Tu donnes vraiment envie de découvrir cette BD ! Merci beaucoup 🙂
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Merci de ta visite ! Si tu as l’occasion de te plonger dans cette BD, tu ne devrais pas le regretter, elle est marquante : à la fois étrange, décalée, et au cœur de notre quotidien ; il y a encore des scènes que j’ai en mémoire…
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