Une île : Fanny Michaëlis

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L’album Une île nous raconte le combat intemporel entre l’homme et la mer. Un pêcheur et sa femme vivent sur une presqu’île « dans [une] baie isolée du reste du monde ». Derniers habitants d’un village qui se meurt faute de naissances, ils affrontent au quotidien une mer rageuse qui n’a de cesse de balayer et de tourmenter de ses flots ce pauvre petit bout de terre. Elle en serait d’ailleurs facilement et rapidement venue à bout si elle n’avait accepté un jour un pacte proposé par les villageois : « Tant qu’un des leurs foulerait de ses pieds le sable de ses côtes, elle ne pourrait engloutir la péninsule. En échange de quoi, ils se contenteraient de pêcher à marée basse et épargneraient la faune de ses grands fonds ». Mais la mer finit par se lasser, s’impatiente dangereusement, ses vagues se gorgent de fureur, grossissent de plus en plus. Et un jour, miracle ! La femme du pêcheur tombe enceinte. Il y aura donc encore âme qui vive pour tenir tête à la mer. Mais la petite fille qui naît est minuscule, telle une Poucette, « pas plus grande qu’un noyau de cerise », et la mère, brûlante de fièvre, mourra en couches ; le combat est-il perdu d’avance ? Rien n’est moins sûr. Il semblerait que notre héroïne lilliputienne en sorte victorieuse…

Ce beau récit, qui prend sa source aux contes et aux mythologies, Fanny Michaëlis l’accompagne d’illustrations en bulles d’écume, virevoltantes, éclatantes de légèreté, de délicatesse, d’étrangeté, d’onirisme et grouillantes de vie.

Le format à l’italienne sied à merveille à ces dessins qui regorgent de détails. L’aspect pictural est très fort. On pense à la finesse des miniatures persanes. Il y a un soin tout particulier apporté aux motifs des tissus, à la trame des filets de pêche, au tissage des nasses, aux écailles des poissons, aux carapaces des crevettes, aux coquillages…On goûte aussi à la délicatesse des estampes japonaises avec des scènes de pêche et une faune marine rappelant l’art d’Hokusai et d’Hiroshige.

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Et la douceur de la femme du pêcheur devenue mère, sa toute petite fille endormie dans ses fabuleux cheveux roux, est le reflet lumineux et tout en courbes de la partie centrale du tableau Les 3 âges de la femme de Klimt.

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La chevelure de la mère est fantastique, de même que la barbe du père, rousse également, dans laquelle se réfugie l’enfant ; l’enfant qui ne se sépare jamais de l’étrange poche de fourrure dans laquelle elle est née :

 

« Elle traînait partout derrière elle ce pelage qui conservait l’odeur de sa mère. Dévalant la montagne, soulevée comme une plume par le vent et les embruns, parcourant la forêt, les plages et le sommet des arbres. Poussière, racines, graines, insectes et coquillages s’emmêlaient dans les poils qui avaient poussé avec le temps. »

 

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Cheveux et poils se tissent, s’entrelacent, semblent pousser indéfiniment, se mêlent aux algues et aux courants, se font le curieux fil conducteur de cette histoire : enveloppant la petite fille et la protégeant de la mer en furie qui engloutit tout sur son passage, ils la mèneront jusqu’à une île féerique, luxuriante, bien loin de la presqu’île « sèche et désolée. »

 

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Il y a une puissance onirique qui renvoie à la maternité, et à la paternité. La naissance est célébrée avec faste. Les illustrations délicates et éclatantes de Fanny Michaëlis (les couleurs sont très belles) débordent d’imaginaire et invitent tous les possibles. Tout est mouvant, se transforme, croît, est fluide, liquide…

Un ravissement pour les yeux du lecteur, qu’il soit petit ou grand. Mon petit garçon a ainsi été captivé par les poissons : il s’est régalé avec les narvals, les anguilles, les bars, les poissons multicolores…Laissez -vous emporter vous aussi par les flots de cet univers singulier, atypique, chatoyant et envoûtant.

 

Si vous voulez poursuivre le voyage, plongez- vous dans le précédent album jeunesse de Fanny Michaëlis, toujours aux éditions Thierry Magnier, Dans mon ventre.

 

Et, dans une très belle tonalité noir et blanc, cette fois-ci exclusivement réservées aux adultes, découvrez ses BD publiées aux éditions Cornélius : Avant mon père aussi était un enfant, Géante et Le lait noir.

 

Bien sûr, vous ne manquerez pas de visiter le site de Fanny Michaëlis.

 

Publié aux éditions Thierry Magnier en septembre 2015.

21 réflexions au sujet de « Une île : Fanny Michaëlis »

    1. Merci. C’est que j’ai ressenti de très belles choses en me plongeant, replongeant dans ces pages…Je ne peux que t’encourager à découvrir le travail de Fanny Michaëlis ; à mon avis, cela te plairait 🙂

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  1. Une très belle chronique pour un très bel album. Encore une référence que je note. La médiathèque où tu vas est bien achalandée en littérature jeunesse : je crois me souvenir que tu es nantaise comme moi ; si ce n’est pas trop indiscret, tu te ravitailles dans quelle médiathèque précisément, que j’y amène ma puce (celle où on va n’est pas trop mal, mais on va rapidement faire le tour…) ? Merci 🙂

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    1. Merci pour ton retour. C’est vrai que j’ai de la chance d’habiter tout près d’une médiathèque bien fournie, je ne louerai jamais assez la belle énergie de ces bibliothécaires. En fait, j’habite à Rezé et je fais des razzia à la médiathèque Espace Diderot. Pour y aller, rien de plus simple : tram ligne 3 direction Neustrie, arrêt Espace Diderot. Et toi alors, quelle bibliothèque fréquentes-tu ?

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      1. Merci pour ta réponse. En fait, on est presque voisines : j’habite aussi à Rezé et fréquente la même médiathèque que toi 😀 Je vais maintenant y aller avec en tête toutes tes chroniques de littérature jeunesse !!!

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      2. ça alors, c’est une heureuse coïncidence ! On a sans doute dû s’y croiser, j’y passe pas mal de temps, et ma fille aussi, elle fait partie du club de lecture Bouquin’heure ! Peut-être pourrait-on se rencontrer « en vrai »cet été ? N’hésite pas à me contacter via le formulaire si tu en as envie 🙂

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      3. Avec plaisir ! En ce moment, je ne suis pas à Rezé et je serai très prise jusqu’au 6 août, mais je te contacte le mois prochain, sans faute 🙂

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