Cou coupé court toujours : Béatrix Beck et Mélanie Delattre-Vogt

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Nous arrivons au terme de notre voyage de découverte des Editions du Chemin de Fer. J’espère qu’il vous aura été agréable et que vous n’hésiteriez pas à réembarquer ; nul doute que vous attendraient de nouvelles surprises ! Pour clore cette semaine, il était indispensable d’aller faire un tour du côté de chez Béatrix Beck qui, avec ses expérimentations, fait figure d’ambassadrice de l’éditeur. L’écriture de cette auteure d’origine belge (1914-2008), naturalisée française en 1955, recèle bien des merveilles d’explorations langagières qui vous rappelleront sans doute celles de Raymond Queneau. Un enthousiasme communicatif à jouer avec la langue, une fantaisie généreuse, une liberté de ton jubilatoire ainsi qu’une réelle émotion qui fait qu’on a vite le béguin pour ses personnages, tout cela va vous garantir un voyage inoubliable . Cou coupé court toujours est un texte à rapporter dans vos bagages si vous voulez faire découvrir le laboratoire littéraire de Béatrix Beck.

 

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L’auteure de Léon Morin, prêtre (prix Goncourt 1952) marquait avec Cou coupé…une rupture avec ses précédentes fictions autobiographiques, jouant allègrement avec les mots, les formes et la ponctuation. Mettant en scène le quotidien d’une famille pauvre composée du père, docker, et des deux filles, la mère étant partie, Béatrix Beck mise sur la fantaisie qui se décline en plusieurs tableaux alternant les lieux, les voix narratives, les temporalités, les sonorités…Publié par les éditions Gallimard en 1967, ce texte témoigne de sa volonté de porter sur le réel un nouveau regard. Elle déclarera à ce sujet dans Confidences de gargouille (éditions Grasset, 1998) avoir été influencée par le cinéma (la Nouvelle Vague) : « Je voyais ce livre comme une succession de séquences ».

Et le début du livre en effet nous donne l’impression de regarder un film avec des mouvements fluides de caméra nous présentant peu à peu les protagonistes de l’histoire dans un contexte urbain très vivant : on entend les bruits de la rue, les enfants qui jouent et leurs comptines, le marchand de poisson qui interpelle le client, les conversations des passants…On voit différents appartements d’un immeuble dont celui de la famille qui nous intéresse avec Martine, la fille aînée de 13 ans, véritable petite femme d’intérieur, en train de faire le ménage dans le pauvre logis dont le principal meuble est le plancher, briqué en permanence :

 

« Protégée par le tabler fleuri que sa mère oublia d’emporter, la ceinture faisant deux fois le tour de sa taille et nouée en épissure sur le nombril, pieds nus dans le lessif écumeux (reine de la mer notre-dame des flots soyez notre mère), des mèches pendant sur ses oreilles aux lobes percés par les boucles en tolède de sa bisaïeule, la combattante pousse le lave-pont ».

 

C’est Martine qui veille sur l’intendance et gère la paye que rapporte le père ; enfin, une partie seulement car celui-ci, surnommé « L’Amour », se réserve des visites très fréquentes au bordel, le « Couvent des Augustines Déculottées » (oui, il y a dans ce texte une certaine amoralité qui dégomme la bienséance et les bigots). Martine, avec le départ de sa mère, à dû grandir très vite et est devenue une petite soldate qui « marche plus que droite, la tête rejetée en arrière, le menton levé, l’air aussi coriace que le permettent ses joues rondes et roses ».

Le père quand il la regarde voit quelquefois des airs de son épouse et est troublé par sa silhouette qui se féminise de jour en jour. L’inceste suinte. Les rumeurs circulent, nourries par la mère criant des horreurs dans les rues et s’affichant dans les bars la nuit avec un autre homme.

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Martine, petite épouse et petite mère courage, qui s’occupe aussi de sa sœur Claude, la coiffe, lui met ses habits du dimanche pour aller à la messe et surveille ses devoirs. Une enfance qui se défile et la pauvreté qui meurtrit une famille : voilà un quotidien bien sombre qui s’extirpe cependant du sordide grâce aux échappées d’une écriture énergique, gouailleuse et merveilleusement inventive ; ainsi cette scène où Claude est contrainte aux devoirs :

 

« A l’autre bout de la table Claude, enfreignant l’interdiction d’une institutrice imparfaite en faveur de l’exactitude absolue, décalque la Seine (moi j’aimerais me jeter dans la mer vite, sans boucles), s’interroge sur les verbes (il pleut il dort je me décoiffe je m’écrie je m’écris) la nuit des temps les adjectifs (un homme brave n’est pas un brave homme) les noms composés (l’abat-jour abat le jour le brise-bise brise la bise) les compléments (j’aime mes parents le lièvre court pour échapper au chasseur les maçons travaillent avec zèle nous habitons une jolie ville il a fait son devoir du matin jusqu’au soir) coud dans un cahier de papier bleu une brassière naine manches en croix chauve-souris clouée sur la porte d’une grange ».

 

Les illustrations de Mélanie Delattre-Vogt réalisées au crayon gris reflètent la gravité de cette histoire, le trouble malsain qu’on ne veut pas voir et souhaite cacher derrière les portes des appartements. Les personnages n’ont pas de visage : les têtes sont coupées ou recouvertes d’un voile, d’une enveloppe. Leurs silhouettes sont fondues les unes dans les autres, enchevêtrées, indissociables, prisonnières. Heureusement il y a les couleurs, en petites touches discrètes fondues dans le gris, qui pourraient s’accorder aux lumières de l’écriture.

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Pour vous plonger davantage dans l’univers de l’artiste, voici son site.

Et pour continuer à défier avec inventivité et liberté une réalité parfois triste, restez en compagnie de Béatrix Beck dont les Editions du Chemin de Fer ont publié plusieurs titres ; le dernier en date est Bribes, sorti en juin 2016.

Anne est partie à la rencontre d’une autre grande dame de la littérature, Virginia Woolf, et vous propose son billet sur le texte Dans les rues de Londres, une aventure, vu par Antoine Desailly.

Je te remercie Anne d’avoir initié cette belle semaine thématique à quatre mains. Ce fut un réel et grand plaisir d’y avoir participé et d’échanger des découvertes ! Je te dis bravo pour ton énergie et me demande ce que tu vas nous préparer les jours qui suivent…  😉

 

Publié par les Editions du Chemin de Fer en novembre 2011

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Une nuit pleine de dangers et de merveilles : Carl-Keven Korb et Kevin Lucbert

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Troisième et avant-dernière chronique de notre semaine Chemin de Fer. Cette semaine est un véritable voyage hors des circuits balisés. Un voyage certes pas des plus tranquilles mais que de belles découvertes ! Pas de standing Première Classe, pas d’air conditionné. Il faut s’accommoder des secousses, du bruit de la machine en marche ou du silence lors des arrêts mystérieux en rase campagne, des fenêtres qui ferment mal laissant fréquemment une poésie de l’étrange et du rêve s’infiltrer dans les voitures. Il faut supporter également d’avoir chaud quand dehors c’est la fournaise et froid quand le vent s’est levé et le givre déposé ; pas de température constante mais des variations, des pics, comme autant de courbes et de reliefs dans la créativité et l’expression. Il n’est pas rare non plus que le train déraille, percuté par une écriture ou un langage graphique. Un voyage pour les lecteurs curieux qui ne craignent pas l’inconfort, les cahots et l’imprévu car ils mettront dans leurs valises de belles émotions artistiques et littéraires. Preuve en est avec ce livre de Carl-Keven Korb et Kevin Lucbert. Pour ce nouveau trajet ils vous titilleront avec leurs mots et leurs images, ne vous laissant pas vous endormir, même s’il s’agit d’un voyage de nuit car la nuit traversée sera intense et effrayante. Une nuit de conte, glaciale et touffue, peuplée de créatures fascinantes et monstrueuses qui vous laissera épuisé(e) au petit matin…

 

« C’était une nuit de cristal. Sous le regard étourdissant d’Orion, le froid rampait sur les rues du village engelé en croassant dans la langue du Nord. Tapies dans les remblais, des araignées de glace tissaient des toiles de métal sur lesquelles des chats imprudents se collaient la langue avant de se faire dévorer. Le moindre souffle, la moindre rumeur se réverbéraient dans toute la vallée. La nuit était belle. Belle et profonde, pleine de dangers et de merveilles ».

 

Une nuit funeste, au cœur d’une région reculée et forestière du Québec, durant laquelle est célébré un horrible mariage : il s’agit de l’union contre-nature du redoutable Tranchemontagne, surnommé « l’ogre de Mont-Vallin », avec la jeune et belle Sédalie Price, fille du président de la Compagnie avide des terres possédées par le monstre. Le village entier est invité à ces noces fastueuses, cruelles et honteuses qui ont lieu dans la maison de l’ogre, « un extravagant palace de planches et de grosses poutres perché sur une colline envahie d’aulnes tordus ». Dans la foule se trouve Samuel, qui aime secrètement la jeune fille. Spectateur impuissant, il se jure de la sauver. Il revient quelques nuits plus tard pour tenter de délivrer la belle, séquestrée dans la demeure du Tranchemontagne.

Aidé de sa fidèle amie Ekho, une mystérieuse présence ailée (un rêve ? une fée ? ), il devra affronter les gardiens, « une bande d’hommes mutiques encapuchonnée de noir » et Gargouille, « un molosse capable de broyer l’acier d’un coup de mâchoire et dont les yeux verts brillaient dans le noir ». Comme si cela ne suffisait pas, la cruauté du Tranchemontagne étant sans limites, Sédalie est prisonnière d’un manteau qu’elle a reçu en cadeau de noces. Cet abominable habit la transforme en bête, « confectionné d’un patchwork de peaux de loup, de sanglier, de martre, de chèvre des montagnes et d’autres créatures orientales plus obscures ». Il lui colle véritablement à la peau, la dévore. Elle ne peut l’enlever sans s’arracher des morceaux de chair. L’amour de Samuel sera-t-il suffisamment fort pour sauver de la monstruosité Sédalie Price ?

L’imagination féconde de Carl-Keven Korb nous plonge dans une nuit folle et sanguinaire, une nuit glaciale, tranchante et acérée comme les crocs de Gargouille. Une nuit noire où brillent les étoiles, une nuit sous le signe d’Orion, la constellation du chasseur. L’écriture fluide et élégante attrape facilement le lecteur, devenant prisonnier d’une histoire vénéneuse dont on voudrait qu’elle se termine bien. Mais les contes ne sont pas tous peuplés de bonnes fées et les ronces qui s’accrochent aux châteaux et aux princes ne disparaissent pas toujours par enchantement…

Les illustrations de Kevin Lucbert complètent admirablement le texte. Ses lignes géométriques bleues comme la nuit représentent des pièces étranges, comme tout droit sorties d’Alice au Pays des Merveilles et qui explorent l’infini à la façon de M.C. Escher.

 

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Il y a aussi quelque chose de ces jeux d’énigmes basés sur l’enfermement, les « Espace Room ». Mais les énigmes ici semblent insolubles : les portes de sortie sont fausses, les forêts ne sont qu’illusions d’optique, peintes sur les murs ou formant elles-mêmes une prison, et le réel, s’il existe, nous échappe sans cesse, le sol se dérobant sous nos pieds.

 

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Les lignes s’opposent à la densité de l’écriture, volontiers foisonnante. Scènes mentales, elles permettent toutes les représentations possibles. Cela les rend d’autant plus inquiétantes. On peut les peupler de toutes les créatures fabuleuses que l’on souhaite et les rares personnages qui apparaissent ne sont que des silhouettes sans visage.

 

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J’ai beaucoup aimé cette forme graphique. Le dessin de Kevin Lucbert est à mes yeux l’une des merveilles de ce livre. Je vous invite à visiter le très beau site de cet artiste. Il est notamment l’auteur de La Traversée (éd. La Cinquième Couche), inspirée en partie d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Les dessins réalisés à l’encre cette fois-ci noire sont magnifiques.

Pour avoir plus de renseignements sur Carl-Keven Korb, c’est par ici. Une nuit pleine de dangers et de merveilles est son premier roman. Et il est d’origine québécoise ; tiens, tiens… 😉

Et bien sûr, ne manquez pas le rendez-vous avec Anne qui nous propose La vague d’Hubert Mingarelli, vu par Barthélemy Toguo.

 

 

Publié par Les Editions du Chemin de Fer en mars 2016

Je hais les dormeurs : Violette Leduc et Béatrice Cussol

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Voici un deuxième billet qui s’inscrit dans la semaine thématique consacrée aux Editions du Chemin de Fer et passée en compagnie d’Anne, durant laquelle nous vous proposons des lectures vagabondes au fil de nos envies afin de vous (nous) familiariser avec leur catalogue. Après avoir été plongé(e)s dans Un matin de grand silence d’Eric Pessan et Marc Desgrandchamps, je vous propose aujourd’hui de vous laisser happer par la nuit de Violette Leduc dans le très beau texte Je hais les dormeurs (publié initialement en 1948 dans la revue littéraire L’Arbalète), vu par Béatrice Cussol. Prenez sans hésiter un aller simple et voyagez dans l’écriture foisonnante, fantasque et charnelle de Violette Leduc (1907-1972).Une femme est allongée, la nuit, aux côtés de son amant qui dort. Elle, par contre, est parfaitement éveillée et l’inertie du dormeur l’irrite, l’angoisse. Magicienne des mots, dans un monologue qui troue le silence, elle pare alors la nuit de couleurs vives, crues, bizarres qui trouvent une juste résonance avec les illustrations de Béatrice Cussol. Interpellant, invectivant, le dormeur – et le lecteur – la narratrice se fait l’ambassadrice de nuits de ténèbres vivantes défiant la mort, embarquée sur « une péniche d’anthracite » ; des nuits assurément plus belles que nos jours…

Voici les premières lignes :

« Je hais les dormeurs. Ce sont des morts qui n’ont pas dit leur dernier mot. Ils méconnaissent la nuit quand elle est pleine. Je ne veux pas qu’on la répudie. Je veux que l’on se place sous les corbeaux qui abritent les terres de minuit avec leurs ailes ouvertes. Je ne peux pas guerroyer avec les dormeurs. Leur sommeil est plus fort que ma guerre. Il emporte tout. »

 

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Elle va parler de la nuit avec une poésie qui emporte tout sur son passage. Des flots de paroles, d’images, nous engloutissent et se jettent sur les corps mous, faussement anesthésiés, des dormeurs ; ceux-ci sont dans un entre-deux qui l’effraie, prisonniers des limbes, à mi-chemin de la vie et de la mort. Ils arborent « un visage d’ange », ont un « front de miel » mais si on les secoue, les voilà se transformant en « une bête écartée d’un os ». Elle utilise des images d’animaux (oiseaux, chauve-souris, batraciens, cheval…), de paysages, de fleurs, de champs, de barque, de rails…Faune, flore, objets, tout est convoqué pour évoquer et célébrer la nuit. Une vie qui pétarade au cœur des ténèbres avec ses beautés, ses bizarreries et qui peut se teinter de rouge : la narratrice n’est-elle pas soulagée d’entendre toute une nuit les coups de hachoir assénés par un garçon boucher fendant le silence et les os, sacré ainsi « tambour de la nuit » ?

 

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Aux côtés de son amant endormi, elle s’irrite « avec le talon de la danseuse espagnole ». Avec trompettes et castagnettes, elle l’entraîne alors dans la « générosité de la nuit » et se fait guide :

« La nuit, avec ses sombreros et sa douceur de suie, est prête partout mais tu ne peux, dormeur, la prendre en mille endroits. Je t’aiderai. Cours plus vite que le coureur professionnel. Ne ralentis pas. Tu es ma grave expérience. Prends-toi par le bras. Epouse-toi au fond d’un ventre de ténèbres, solitaire. J’admirerai tes épousailles singulières. Tu récolteras à la fin de la nuit la perle fine de l’aurore ».

 

En plus des mots, elle s’aide aussi de ses lèvres qui se posent sur celles du dormeur. Puis elle se jette sur sa poitrine et sa main s’empare du sexe de l’amant, « les pétales d’un bouquet qui ne se fanera pas », « tellement plus chaud », « plus important qu’un bouton de coquelicot ». L’écriture s’envole, se déploie davantage : le sexe est une fleur, un oiseau des îles, des « graines de semence », une « torche de vie », un sécateur, un revolver…Des paroles d’amante gourmande, affamée.

 

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On retrouve cette folle énergie dans les illustrations à l’aquarelle de Béatrice Cussol. Il y a du mouvement, des éclaboussures. Du bizarre, du monstrueux. Des personnages étranges, entaillés, cousus, dévorants et dévorés, entraînant le lecteur dans une ronde fantasque. Il y a une esthétique dérangeante mais aussi ludique : une beauté de « freaks », de cartoon effrayant aux couleurs crues, qui brasse à pleines mains et touille les fantasmes et la verve poétique véhiculées par l’écriture de Violette Leduc.

C’est le premier texte de Violette Leduc que je lis. Je suis contente de l’avoir lu avant d’autres de ses écrits, comme La Bâtarde, La Folie en tête ou Ravages. Je me faisais l’idée – réductrice – d’une écrivaine « enfermée » dans l’autofiction, dans ses expériences douloureuses (elle est née fille illégitime, reniée par la haute bourgeoisie et vécut des relations intenses avec des amants et des amantes), dans un rapport à l’écriture définie par le manque, la faim. Il y a une faim effectivement dans Je hais les dormeurs mais plus qu’ une faim basée sur des éléments autobiographiques, il y a une faim du langage, de la puissance poétique, qui est saisissante.

J’espère que vous aussi serez transporté(e)s par cette écriture.

Je vous invite également à découvrir d’autres œuvres de Béatrice Cussol sur le site d’exporevue.com et à lire son interview.

Et bien sûr lisez, si ce n’est déjà fait, le billet d’Anne qui, pour ce deuxième rendez-vous, a lu Le jeune homme qu’on surnommait Bengali de Louis-René des Forêts, vu par Frédérique Loutz.

 

 

Publié par les Editions du Chemin de Fer en novembre 2006, réédité en novembre 2010.

Publié également du même auteur, chez le même éditeur : La main dans le sac

L’award de l’été

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Grande première pour moi puisqu’il s’agit de participer à un award. C’est Sandrion , créatrice du blog D’autres vies que la mienne (titre d’un roman que j’ai beaucoup aimé, soit dit en passant 🙂 ), qui m’a passé le relais. Je vous invite à lire ses chroniques, certaine que vous ferez de jolies découvertes. Je remercie Sandrion et m’excuse aussi auprès d’elle car j’ai mis un peu (beaucoup) de temps à publier cet article sur mon blog. Allez, l’été n’est pas terminé, l’automne pointe le bout de son nez officiellement le 22 septembre cette année, le soleil est toujours généreux et certain(e)s d’entre vous sont peut-être encore en vacances alors je me permets de répondre à cet award estival !

Je me plie donc aux règles d’usage : il s’agit de remercier en premier lieu la personne qui m’a décerné l’award, puis écrire la liste des règles, mettre la photo de l’award, écrire 7 faits me concernant (c’est très libre, on mentionne ce que l’on veut) et passer le relais.

C’est parti !!

1- Je ne pensais pas éprouver autant de satisfaction à tenir un blog. Voilà 9 mois ( ! ) que Des livres tous azimuts existe et me permet d’échanger avec vous. Cela m’est précieux toutes ces rencontres et toutes ces découvertes. Je me sens « nourrie », deviens de plus en plus gourmande et fais travailler mes méninges en permanence : quoi de mieux !

2-Mon congé parental prend bientôt fin, mon petit garçon approchant des 3 ans. Ce fut une belle période, un peu inhabituelle pour moi qui n’avais encore jamais déconnecté du boulot et qui ne suis pas à proprement parler une mère poule, patiente et zen ( ! ). Je suis heureuse de l’avoir fait, vraiment. Et puis, ce congé m’aura permis de bloguer, d’azimuter à tout va ! J’espère simplement retrouver un travail qui me plaise, dans les livres de préférence (j’ai été libraire et documentaliste) mais les places sont chères, très…Alors, si vous avez des idées d’activités professionnelles, je suis preneuse !

3- Un rêve que je chéris de plus en plus : ouvrir une librairie ! C’est pour l’instant une belle utopie car les fonds ne sont pas là. J’aimerais une librairie qui regroupe des « petits » éditeurs, faire la part belle à l’indépendance et me faire très, très plaisir !! Dans la région où je vis actuellement, les Pays de la Loire, il y aurait de quoi faire : pas mal d’éditeurs et d’auteurs y sont actifs. A voir…Si vous avez des astuces pour émouvoir les banquiers, je suis aussi preneuse !

4-J’ai une grande fille qui a bientôt 10 ans et qui aime beaucoup lire elle aussi. Bon, elle a été un peu conditionnée il est vrai mais c’est devenu une activité qu’elle apprécie réellement. Elle s’est mise à écrire des nouvelles et évidemment je suis très fière d’elle.

5-J’aime beaucoup lire la nuit, tard, très tard. J’y suis un peu contrainte, attendant que tout le monde soit couché, mais j’adore ce moment, calme et toujours un peu magique. Je suis persuadée qu’il y a des livres qui ne peuvent se lire que la nuit.

6-Un regret : ne pas avoir voyagé. Dès que ma fille en exprime le désir, je fais tout pour lui permettre d’aller voir ailleurs, d’approcher d’autres horizons. J’admire beaucoup les personnes qui sont parties vivre à l’étranger, quelle richesse ! Chapeau bas…

7-Un autre regret : ne pas avoir été chanteuse de rock…J’en ai passé des heures devant la glace avec la brosse en guise de micro ! Quand j’étais étudiante, j’écoutais énormément de musique, aujourd’hui beaucoup moins mais j’ai toujours une pincée de nostalgie. Franchement, PJ Harvey, c’est une chanteuse qui a la grande classe, non ? Et elle dure, elle réalise toujours de beaux albums ; allez, tout n’est peut-être pas perdu  😉

Voilà pour cet award !

Je passe maintenant le relais à…. (pas d’obligation bien sûr ; et je sais que certain(e)s sont très ocupé(e)s ) :

Madame lit

Fanny (Mes pages versicolores)

Folavril (Livres de Folavril)

BookManiac

Cat (Chroniques Aiguës)

N’hésitez pas à participer à cet award dans les commentaires, je serais curieuse d’en savoir un peu plus sur vous !

 

A bientôt

Un matin de grand silence : Eric Pessan et Marc Desgrandchamps

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C’est avec grand plaisir que je participe cette semaine à une thématique consacrée aux éditions du Chemin de Fer, en compagnie d’Anne du blog Des mots et des Notes. Elle m’a très sympathiquement invitée à être du voyage après ma découverte de l’éditeur via Inquiétude de Michèle Lesbre, vu par Ugo Bienvenu et Tryggve Kottar de Benjamin Haegel, vu par Marie Boralevi. Cet éditeur « basé dans la Nièvre, en lisière de forêt et du monde » propose « depuis 2005 des textes courts illustrés par des artistes contemporains ». Les ouvrages sont de très belle facture, avec rabat et papier épais cousu, et les univers présentés sont des invitations aux voyages singuliers. Alors, amoureux de la littérature et explorateurs graphiques dans l’âme, amateurs des chemins de traverse plutôt que des lignes à grande vitesse, embarquez à bord de notre Chemin de Fer. Première destination : Un matin de grand silence d’Eric Pessan, vu par Marc Desgrandchamps.

 

« C’est un matin de grand silence, comme recouvert par une épaisse couche de poussière. Le son ose à peine se propager. Le moindre raclement de gorge le moindre heurt le moindre froissement se répercutent avec violence dans l’appartement déserté. »

 

« Ce matin, le monde a une fragilité nouvelle ».

 

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Un adolescent se réveille dans un appartement. Il est 9h30 et ses parents ne l’ont pas réveillé pour aller au collège. Ils ne sont pas là. Ils semblent avoir déserté l’appartement, à moins que…La porte de leur chambre est mystérieusement fermée. N’osant abaisser la poignée de la porte, le garçon déambule d’une pièce à l’autre. Les heures passent sans qu’il cherche à sortir, à prendre contact avec l’extérieur. Il est comme prisonnier à l’intérieur, et immobilisé dans le temps :

 

« Il est coincé dans l’appartement déserté,

seul,

caché et clandestin, il veut profiter pleinement de chaque seconde de son étrange liberté silencieuse. L’appartement est un fossile, un coquillage pétrifié enfoui dans le limon. Le temps verse ses siècles, l’appartement se minéralise, subit les pressions de la roche, s’endurcit, il sera difficile de le déterrer ».

 

Féru de livres et de films de SF, fasciné par l’Espace et la vie éventuelle sur d’autres planètes, il s’imagine prisonnier d’une capsule qui dérive et « il ne comprend pas pourquoi ses parents l’ont expulsé du vaisseau principal ». A défaut d’explorer une planète, il s’aventure précautionneusement dans l’appartement et éprouve la solitude de l’Espace infini…

 

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Il est traversé par plusieurs sensations : angoisse, dégoût, apaisement, réconfort, tristesse…Il éprouve bien sûr un terrible sentiment d’abandon mais aussi le plaisir d’exister seul, sans plus avoir à supporter la présence envahissante, intrusive, de sa mère, femme au foyer, et la compagnie de ses camarades de classe ; il se sent si différent d’eux…Il goûte à la « douceur confortable du silence » et ressent une réelle souffrance à chaque sonnerie du téléphone, ce « prédateur » qui l’attaque.

Le monde qui l’entoure semble ne plus avoir de prise sur lui, s’estompe : de l’immeuble ne s’échappe aucun bruit et de la rue ne lui parvient que quelques pétarades de mobylettes. Le silence est si grand qu’il entend le battement de son cœur, se demandant d’abord s’il ne s’agit pas d’un voisin qui cogne contre une cloison. Plongé en lui-même, il ne veut, et ne peut peut-être plus, se confronter aux autres. Ses parents ne sont plus là mais lui aussi s’absente du monde.

L’écriture d’Eric Pessan saisit plusieurs facettes de cette solitude : liberté bienvenue, vide angoissant, refuge réconfortant, abandon douloureux…Il s’agit non pas d’expliquer pourquoi les parents ont disparu mais de montrer les réactions et sentiments du garçon face à quelque chose qu’il ne maîtrise pas. Avec ses variations de rythme, telles des vagues, l’écriture nous fait passer d’une phase relativement paisible à une autre, plus agitée. Le quotidien le plus banal (se laver, se préparer un repas, faire la vaisselle…) se teinte par moments d’effroi, souvent de poésie, et flirte volontiers avec le fantastique.

Les illustrations de Marc Desgrandchamps expriment elles aussi une réalité plurielle et difficile à capter. Ses collages nous font voir plusieurs couches, plusieurs mondes qui se superposent. Beaucoup d’éléments sont présents mais aussi recouverts, cachés. Il y a à la fois une vision kaléidoscopique, éclatée, avec des éléments qui tranchent avec les autres, les entaillent, et une vision plus trouble, fuyante, avec des contours estompés et des coulures qui fondent les éléments les uns dans les autres.

 

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Je vous invite à plonger davantage dans l’univers du peintre graveur Marc Desgrandchamps.

Explorez également le site de l’écrivain Eric Pessan, aux talents variés, auteur de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre, d’essais, de poésie…

Et bien sûr, lisez sans plus attendre le billet d’Anne : Les histoires de frères d’Arnaud Cathrine, vu par Catherine Lopès-Curval.

 

 

Sorti en mars 2010 aux éditions du Chemin de Fer

L’avalée des avalés : Réjean Ducharme

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

 

Je n’oublierai pas de sitôt cette lecture. Quelle claque ! Et quel ravissement… Dès les premières lignes, l’écriture de Réjean Ducharme part à l’assaut et assène au lecteur une sacrée gifle. J’ai tendu sans hésiter l’autre joue, puis je me suis présentée tout entière, bien de face, pour recevoir les mots rageurs de Bérénice, jeune héroïne ducharmienne en guerre contre les adultes et les lâches. J’ai encaissé ses invectives, ses mots fous, ses mots inventés, ses mots qui triturent, qui dissèquent, ses mots qui terrassent, ses mots qui magnifient, qui envoûtent, qui transportent par leur poésie hybride, toute d’ombre et de lumière. Des mots à foison qui m’ont avalée et que j’ai ingérés, goulûment. Une écriture incroyablement belle, exaltante, épuisante, qui exprime la soif inassouvie de Bérénice Einberg dans sa recherche d’absolu, de découverte d’elle-même, et dans sa volonté d’en découdre avec la terre entière, jour et nuit. Petite fille de parents monstrueux et défaillants, elle aurait pu se briser et se faire engloutir par les adultes. Que nenni ! Sa rage est à nulle autre pareille et terrasse quiconque, toujours victorieuse.

 

Voici comment elle se présente dans un incipit-lame-de-fond : souffrance d’être perdue dans le monde et volonté de se posséder :

 

« Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère(…) »

 

Il faut dire qu’elle a de quoi être perturbée la petite Bérénice. Elle vit avec ses parents et son frère Christian sur une île du grand fleuve canadien le Saint-Laurent, dans une ancienne abbaye « aux quatre toits de tuiles rouges », « plus pointus que des fers de hache, plus escarpés que des falaises », au-dessus de laquelle passe un pont ferroviaire qui cache le soleil. Les trains font trembler les murs, secouent les lits et les rares rayons de soleil que le pont n’a pas filtrés sont arrêtés par d’épais rideaux de velours qui pendent aux fenêtres. Dans cette abbaye se joue une véritable « Guerre de Trente ans » qui oppose le père Mauritius Einberg à sa belle jeune épouse surnommée « Chat Mort » par sa fille. Ils ne se supportent pas et se sont partagé les enfants : à la mère le premier enfant né, c’est-à-dire Christian, et au père le second, ce sera Bérénice. Chaque parent impose à sa partie un enseignement religieux : catholique pour Christian, judaïque pour Bérénice. Et chaque parent impose aussi à « son » enfant une vision détestable, fielleuse, de l’autre, l’ennemi à abattre. Les repas finissent en champs de bataille et les portes souvent claquent, laissant toujours derrière elles des cris haineux. Cette fureur, Bérénice n’est pas la dernière à y prendre part. Elle aussi joute verbalement, empoigne, gueule, vocifère, cogne, pince…

 

Les deux enfants cependant sont profondément attachés l’un à l’autre. Leur relation est intense, fusionnelle, et même incestueuse vue des yeux de Bérénice. Elle idolâtre son frère dont elle a tant besoin de la douceur. Il est son compagnon de jeux avec qui elle explore le jardin de l’abbaye, les caves, la crypte et aussi les marais de l’île. Ces moments d’enfance, de jeux et d’émotions partagés sont fabuleux à lire.

Mais un jour surgit toute une ribambelle de cousins invités un été par « Chat Mort » et avec eux la redoutable Mingrélie, si belle et dont Christian tombe amoureux. L’été devient insoutenable, moite, nocturne, hypnotique, les croisières programmées sur le Saint-Laurent se transforment en sabordages et en naufrages et c’est « Chat Mort » qui supervise les batailles (ces pages sur l’été dans l’île sont superbes…). Bérénice, arrivée au faîte de sa souffrance, déborde de fureur et son amour pour Christian devient encore plus obsessionnel. Le père, ulcéré, la chasse et l’exile à New York chez un parent, Zio, patriarche ultra-orthodoxe qui s’est investi de la mission de panser et de guérir les âmes. Bérénice passera cinq années loin de l’île vénéneuse mais connaîtra dans la grande ville d’autres poisons. Elle n’aura de cesse de se battre contre les prisons (famille, religion, école) pour devenir une adolescente encore plus dure, plus détachée des autres :

 

« Je suis une alchimiste rendue folle par des vapeurs de mercure. J’aimerai sans amour, sans souffrir, comme si j’étais quartz. Je vivrai sans que mon cœur batte, sans avoir de cœur ».

 

Elle devient boulimique de connaissances, de lectures, ingurgite des cours de tout et n’importe quoi : Ses pensées et réflexions ne cessent de jaillir, grouillent, débordent et elle abreuve de logorrhées ceux qu’elle côtoie. Elle se veut forte dans sa vision sur le monde, forte dans sa solitude et son âme, sans attaches et découvrir qui elle est ; elle déclare : « Je choisirai le sol de chacun de mes pas ».

 

Vous voilà prévenus ! Pour entrer dans ce roman, il vous faudra affronter Bérénice la guerrière, Bérénice qui peut être monstrueuse. Ses armes langagières pourront vous blesser, vous choquer. Peut-être demanderez-vous grâce, sonnés et fatigués : j’ai peiné quelquefois et j’avoue que les cinquante dernières pages m’ont laissée de côté ; de plus, ses inventions linguistiques et ses emplois fréquents de mots peu usités peuvent vous donner le tournis ! (Un conseil : laissez tomber le dictionnaire et amusez-vous, laissez-vous porter par les jeux de mots, les mystères du sens, c’est si agréable de ne pas tout maîtriser). En tout cas je suis sûre que la puissance poétique de l’écriture de Réjean Ducharme vous ravira, littéralement. Il y a dans ce roman des fulgurances incroyables : je termine par cette phrase de Bérénice :

 

« La lumière est une rivière qui m’appelle et qui a quelque chose à son extrémité. Quelqu’un qui suit la vérité jusqu’au bout, qui en a la force, est quelqu’un qui escalade un rayon de soleil et finit par tomber dans le soleil ».

 

Merci beaucoup à Madame lit qui m’a fait découvrir ce si beau livre et la journée « le 12 août, j’achète un livre québécois ». Je connais enfin (un peu mieux) l’auteur québécois Réjean Ducharme. Cet auteur qui n’avait que 24 ans quand est sorti son tout premier roman L’avalée des avalés chez Gallimard en 1966. Un auteur mystérieux qui préserve farouchement son anonymat, alors que son œuvre est couronnée de succès : Prix du Gouverneur Général, Grand Prix national des lettres, officier de l’Ordre national du Québec et dernièrement voici que L’avalée des avalés entre dans le Registre du patrimoine culturel du Québec (merci Marie-Claude d’Hop !  sous la couette  pour le lien )

 

Ed. Gallimard « Folio » (1982)
1ère édition aux éditions Gallimard la « Blanche » en 1966

 

Des livres tous azimuts achète un livre québécois

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Me baladant  souvent sur le blog de Madame lit, j’ai pris connaissance d’une journée célébrant la littérature québécoise : « Le 12 août, j’achète un livre québécois » (lire le billet de Madame). Trouvant cette initiative très sympathique et voyant là l’occasion de combler un tout petit peu mes (nombreuses) lacunes en ce domaine, j’ai décidé d’y participer en achetant en librairie L’avalée des avalées de Réjean Ducharme ; une chronique de Madame lit sur ce roman m’avait fortement tentée. J’ai hâte de me plonger dans cet univers mystérieux, peuplé d’images étranges et poétiques.

Et vous, y participez-vous ?

Voici le lien de la page Facebook de l’événement

 

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Manuel d’exil : comment réussir son exil en trente-cinq leçons : Velibor Colic

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Que j’ai aimé ce livre ! Il m’a beaucoup fait rire, il m’a émue et séduite. C’est bien simple : Velibor Colic, le héros de ce Manuel d’exil, est irrésistible. Extrêmement drôle, généreux, séducteur, le regard acéré, il m’a prise dans ses filets. Il nous raconte son arrivée en France en 1992, après avoir été soldat dans l’armée bosniaque. Le jeune homme de vingt-huit ans qu’il était alors a fui son pays ravagé par la guerre et a traversé la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne pour se retrouver, complètement seul, sans argent, ne maîtrisant pas le français, à Rennes où il obtient une place dans un foyer de demandeurs d’asile. Animé d’une vitalité incroyable, qui le poussera à devenir écrivain en France, s’octroyant même le luxe d’écrire ses livres directement en français dès 2008, il parvient à supporter le difficile quotidien des réfugiés, celui de la faim, du corps usé, malade, et celui qui confronte à une immense solitude, lui faisant ressentir un véritable « froid métaphysique ». Il faut dire que s’il a laissé tomber les armes en désertant l’armée, il en a néanmoins conservé deux, autrement plus redoutables que les fusils : l’humour et la littérature. Son autodérision est extraordinaire, ne rate jamais sa cible, lui-même, et sa foi en l’écriture ne faiblit pas. En 35 courts chapitres, Velibor Colic, qui ne cesse de brandir l’étendard de la poésie, réchauffant l’âme et reliant les êtres, nous montre comment il a « réussi son exil ».

 

Ce n’était pas gagné, loin de là, quand il descend du train en gare de Rennes :

« J’ai vingt-huit ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre. J’ai aussi mon carnet de soldat, cinquante deutsche marks, un stylo à bille et un grand sac de sport vert olive élimé d’une marque yougoslave. Son contenu est maigre : un manuscrit, quelques chaussettes, un savon difforme (on dirait une grenouille morte), une photo d’Emily Dickinson, une chemise et demie (pour moi une chemise à manches courtes n’est qu’une demi-chemise), un rosaire, deux cartes postales de Zagreb (non utilisées) et une brosse à dents ».

Il a tout laissé derrière lui et sent à présent la solitude lui vriller le cœur :

« Je suis assis sur ce banc public à Rennes. Il pleut de l’eau tiède et bénite sur la ville. Je réalise peu à peu que je suis le réfugié. L’homme sans papiers et sans visage, sans présent et sans avenir. L’homme au pas lourd et au corps brisé, la fleur du mal, aussi éthéré et dispersé que du pollen. Je n’ai plus de nom, je ne suis plus ni grand, ni petit, je ne suis plus fils ou frère. Je suis un chien mouillé d’oubli, dans une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde ».

Il dispose d’une chambre dans un foyer où il rencontre d’autres réfugiés dont certains deviennent ses compagnons d’escapades nocturnes éthyliques, apaisant la soif et la nostalgie. On lui propose aussi des cours de français, ce qui lui est indispensable car il affirme, rien de moins, que son « projet en France » est d’avoir le Goncourt ! Il a en effet déjà publié plusieurs livres quand il vivait en Bosnie. Mais avant, il va falloir apprendre à dire « Où est la Poste ? » et ça, ce n’est guère stimulant pour notre futur lauréat. Le voici alors qui décide de prendre des cours en accéléré auprès d’une petite amie française. Il rencontre dans un bar Isabelle, qui « ressemble à un ange qui louche, une Joconde bien nourrie avec quelques gouttes de sang espagnol et républicain dans les veines ». La belle a chez elle des recueils de poésie qu’il apprend et déclame la nuit avec grand enthousiasme et force bières.

Apprendre le français pour pénétrer la sphère littéraire, devenir un de ces écrivains dont les livres « aux belles couvertures blanches et jaunes » ornent les vitrines des librairies, mais aussi pour trouver son salut. La douleur est grande d’avoir dû quitter son pays et ses proches et le seul moyen de la laisser derrière soi serait de la penser et de l’exprimer uniquement dans sa langue maternelle ; une nouvelle vie en France qui « exige un esprit fort et une mémoire blanche ».

Alors Velibor Colic travaille à l’écriture, et dur. Il quitte Rennes pour Paris – Paris la cruelle où la pauvreté mais aussi les rencontres fraternelles sont au rendez-vous – puis Strasbourg, où il est invité par le Parlement des écrivains. Il passe des nuits entières à taper sur sa machine à écrire, « une magnifique Olivetti » qu’il nomme Hamsun. Il écrit à partir de ses notes rédigées dans ses carnets de soldat, quand il était dans les tranchées, tenaillé par la peur et la rage. Il n’hésite pas à dire de ces écrits, d’un ton vachard :

« Mon manuscrit est un vrai manuscrit, écrit à la main. Lignes serrées, pour économiser la place, j’énumère mes observations, mes pensées et jurons. Je suis en même temps anti-guerre et anti-paix, humaniste et nihiliste, surréaliste et conformiste, le Hemingway des Balkans et probablement LE plus grand poète lyrique yougoslave de notre temps. J’ai juste un détail à régler : mes textes sont beaucoup plus mauvais que moi-même ».

Et de ces nuits finit par naître son premier livre publié en France : Les Bosniaques (éd. Le Serpent à Plumes, 1994). On l’invite alors à France Culture, il devient un « écrivain en résidence », se rend à des dîners où sont également conviés Salman Rushdie et Toni Morrison, part en tournée de promo accompagné de « trois grands philosophes engagés et un grand écrivain français », qui « brillent de mille feux » lorsqu’ils s’adressent aux public et journalistes. Lui, Velibor, est plus en retrait, maîtrisant encore difficilement la langue et se sentant également « dépossédé » : les autres ont l’air d’avoir tellement de choses à dire sur le conflit en ex-Yougoslavie…En dépit des mondanités, de la reconnaissance, il y a la solitude, encore et toujours, de celui qui a tant perdu, le réfugié, le migrant…

Allez-y, précipitez-vous dans votre librairie préférée, assiégez votre bibliothèque jusqu’à ce qu’elle fasse l’acquisition de ce livre, lisez absolument Manuel d’exil de Velibor Colic. C’est un roman généreux, nécessaire, d’une actualité brûlante, qui fait briller les yeux de plaisir et d’émotion.

Je vous invite à lire le beau billet de Joëlle (Les livres de Joëlle) qui a eu la chance de rencontrer Velibor Colic.

 

Publié aux éditions Gallimard en avril 2016

Une boîte dans ma boîte aux lettres !!

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J’ai voulu vous faire partager mon plaisir d’avoir reçu de beaux cadeaux de la part d’une blogueuse que je suis régulièrement, Antigone ! Elle a organisé le mois dernier un concours pour fêter les 10 ans de son blog, Les lectures d’Antigone…, que je vous invite vivement à découvrir si vous ne le connaissez pas encore. 10 ans, quelle longévité, j’admire ! Et j’ai eu la chance de faire partie des gagnantes ! J’ai remporté la boîte littéraire, contenant des livres bien sûr mais aussi des objets fort utiles pour mener à bien, et dans le confort le plus absolu, mes futures lectures ; bref, une parfaite panoplie de blogueuse ! Merci Antigone  🙂

 

Voici donc les photos vous dévoilant ces trésors : un quasi Noël en plein cœur de l’été ; du soleil dans les colis !

 

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Un vrai plaisir que de déballer et froisser le papier

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Un roman allemand de la nouvelle maison Slatkine & Cie (créée en mars 2016) que j’avais très envie de lire suite au billet d’Antigone

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Un ensemble « Le Livre de Poche » avec une biographie de Tatiana de Rosnay sur Daphné du Maurier, une auteure qui m’intrigue depuis longtemps.

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Quoi de plus agréable que de lire en buvant un thé, ou une tisane (oui, j’ai le syndrome de la camomille !)

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Marque-pages, carnet de notes et post-it : indispensables pour noter ses (nombreuses) envies et les passages d’un livre à garder à tout prix en mémoire ; ma fille a particulièrement aimé et m’envie ces chouettes petits objets !

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Un joli tee-shirt pour parader crânement  🙂

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Et les mots bien sympathiques d’Antigone pour me féliciter d’avoir gagné !

J’ai été très gâtée et vous donne donc rendez-vous prochainement pour vous partager mes impressions de lecture ! A bientôt