Des vagues / Heure bleue d’Isabelle Simler

Pour terminer cette année en douceur, je voudrais vous inviter à un fabuleux voyage à travers les illustrations somptueuses et délicates d’Isabelle Simler. Artiste magicienne, elle fait de la nature des tableaux saisissants de beauté, de calme et de profondeur. Une sérénité enchanteresse qui gagne petits et grands. C’est mon Robin de 2 ans et demi qui m’a fait pénétrer dans cet univers, tout en ouate et féérie. Alors que je fouillais dans les bacs de notre médiathèque adorée à la recherche d’albums qui seraient susceptibles de l’intéresser, il m’a tendu de son propre chef un livre dont la couverture semblait beaucoup lui plaire : Des vagues. Ce fut le coup de foudre : un imagier de faune sous-marine envoûtant ! Des couleurs éclatantes, s’étalant en pleine page, un dessin à la fois naturaliste et merveilleux, des mots joueurs et tout doux…Nous allions passer en la compagnie de cet album des moments précieux…Voilà presque un mois que ce livre berce nos soirées et mon petit lecteur ne s’en lasse pas (moi non plus d’ailleurs). Un passage en librairie s’impose pour que d’emprunt il devienne livre de chevet ad vitam aeternam ! J’ai vite cherché d’autres titres d’Isabelle Simler, et nous les découvrons petit à petit. Je peux vous assurer que la magie opère à chaque fois ; la preuve avec la deuxième lecture que nous avons partagée , Robin et moi, Heure bleue, qui rivalise de grâce et de finesse avec le précédent…Nous sommes conquis et je remercie chaleureusement Isabelle Simler et les Editions Courtes et Longues d’avoir fait naître ces albums attrape-rêves qui n’en finissent pas de nous enchanter…

 

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Des vagues

Un personnage se baigne dans la mer, apaisé, il se sent si bien :

« Seul, calme, tiède, mon corps s’allonge. Quand… »

« Un poisson aiguille pique le bout de mon orteil, »

Et voici un premier habitant du monde sous-marin qui se manifeste, suivi de :

« Un poisson porc-épic me gratte la plante des pieds »

« Un poulpe à longs bras enlace ma cheville »

 

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Des présences taquines, curieuses et bienveillantes qui titillent et câlinent notre personnage, le faisant s’enfoncer, doucement, dans les profondeurs de l’océan. Poissons tropicaux, crevettes, méduses, hippocampes, étoiles de mer, tortue et même baleine à bosse entraînent le héros dans un ballet étourdissant de couleurs. Une pleine page réservée à chacun de ces danseurs révèle leur beauté et leurs singularités ; quelle finesse dans le trait ! On devine le toucher des écailles, des piquants, le chatouillis des anémones de mer et des antennes des crevettes, les ondulations sous-marines quand les raies alvéolées s’envolent…Monde du silence, de la fluidité, de l’harmonie…Tout est beau et accompagne notre personnage vers le sommeil, les vagues finissant par se confondre avec les plis de la couverture de son lit…

Une exploration aquatique à la rencontre du rêve, de la douceur et qui est d’autant plus fascinante que les espèces qui peuplent ce récit appartiennent bel et bien à la réalité : Isabelle Simler, encadrant son récit de planches naturalistes toutes colorées, rend grâce à la nature en nous exposant et nommant les créatures qui vont apparaître au fil des pages : poisson-trompette, poisson-fantôme arlequin, hippocampe feuille, nautile, méduse striée…

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C’est bienfaisant cette délicatesse, cette poésie qui s’entremêle au réel…

Un album qui provoque des vagues de plaisir, d’émotion, d’émerveillement et qui nous enveloppe d’une exquise sérénité.

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Crédits photos : Isabelle Simler

 

Des vagues, Isabelle Simler, Editions Courtes et Longues, avril 2014

 

 

Heure bleue

Ce second imagier est tout aussi magnifique que le premier ! La palette de couleurs se « restreint » ici au bleu mais quel bleu ! Il est décliné sur tous les tons. La page de garde nous en expose 32 variations : du bleu dragée au bleu nuit, en passant par le bleu charrette ou le bleu de Prusse…32 variations qui vont servir à illustrer ce délicat moment où le jour ne s’est pas encore couché et passe le relais à la nuit, ce moment magique et comme suspendu que l’on nomme l’heure bleue :

 

« Le jour s’éloigne…bientôt la nuit.

Entre les deux, elle passe…

C’est l’heure bleue ».

 

Les poissons laissent la place à une belle galerie d’oiseaux : le geai et le merle bleus, les pintades vulturines, le gorge-bleu, le passerin indigo, le pigeon couronné, le cordon bleu à joues rouges…Autant d’occasions de s’instruire toujours avec émerveillement sur la faune.

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Il y a aussi le renard bleu, les grenouilles azurées, les papillons, la couleuvre agile… qui s’acheminent vers la nuit, nous plongeant dans des bleus de plus en plus profonds, jusqu’à ce que la lune fasse son apparition et que « la nuit en douce les enveloppe tous ».

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Encore des pleines pages pour goûter avec délice aux illustrations d’Isabelle Simler qui rehausse et contraste ses bleus d’un magnifique rouge flamboyant, d’un jaune d’or et d’un blanc de neige et de lune…C’est parfait…

Les textes, d’une simplicité nue, permettent davantage aux images de raconter l’ histoire ; des illustrations hypnotiques qui nous plongent irrésistiblement dans la nuit qui s’avance. Moins dans la narration, les mots se parent d’une réelle poésie quand ils nomment des espèces d’animaux, d’insectes et de fleurs et m’ont fait penser à des haïkus :

 

« Les ailes des morphos bleus étincellent sur les ipomées ».

 

« La campagne se couche…Un chat bleu russe s’échappe. »

 

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Crédits photos : Isabelle Simler

 

Heure bleue, Isabelle Simler, Editions Courtes et Longues, mars 2015

 

Ahhh, Isabelle Simler, vous m’avez enchantée…Et je vous suis infiniment reconnaissante d’avoir créé des albums aussi beaux, qui caressent les yeux de mon petit garçon.

A découvrir ici votre blog, et le site des fabuleuses Editions Courtes et Longues.

A consommer excessivement et sans aucune modération !

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Naya ou la messagère de la nuit : Philippe Lechermeier et Claire de Gastold

 

Une plongée dans les rêves, dont la douceur triomphe de la guerre ; les hommes d’un village qui doivent leur salut à la force des femmes ; une jeune fille, Naya, au courage extraordinaire, messagère de vie et d’espoir ; une nuit aux beautés foisonnantes auxquelles les fusils et la cruauté des hommes ne résisteront pas ; des oiseaux échappant aux griffes des fauves, s’envolant toujours plus haut : tels sont les éléments de ce très joli conte, Naya ou la messagère de la nuit. La plume de Philippe Lechermeier, guidée par la délicatesse et l’amour porté à son héroïne, et les illustrations de Claire de Gastold, étourdissantes de couleurs et de poésie onirique, sont une véritable invitation au voyage, au cœur d’une nuit inoubliable…

Naya vit dans un village en lisière de jungle tropicale. Un véritable jardin d’Eden. Tous les jours, elle traverse la végétation luxuriante, défie sa peur du léopard, qui peut se cacher « derrière chaque arbre, derrière les feuilles que l’oiseau dérange ou les herbes que la gazelle foule » et se rend tout en haut de la montagne car elle est l’assistante du vieux maître Yacouba.

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Tous deux modèlent la terre rouge que l’on trouve au bord de la rivière. Sont sculptées des briques, ainsi que des figurines représentant les hommes du village. La tradition veut que chaque naissance masculine soit célébrée par le modelage d’une nouvelle silhouette et les doigts fins, très agiles de Naya parviennent à « donner vie à la terre ».

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Naya a un autre don : elle sait faire disparaître les cauchemars de ses proches en soufflant à l’oreille des dormeurs tourmentés des « rêves colorés ». Elle protège ainsi de sa voix douce et chuchotante ses petits frères et sœurs, les transportant dans un monde fabuleux d’oiseaux, de fleurs et de nuages.

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Mais un jour funeste, la guerre surgit. Le mur construit avec les briques tout autour du village pour le protéger n’a pas suffit à arrêter de mystérieux envahisseurs. Ils semblent venir d’une autre planète, menaçants avec leurs armures dorées et leurs capes noires. Ils possèdent des armes redoutables et paraissent invincibles.

« Flèches comme milliers de guêpes et de frelons.

Balles de fusils comme pluie de feu.

Boulets de canon comme foudre de pierre.

Pendant plusieurs jours, la guerre s’abat sur le village.

Elle blesse corps et âmes, hommes et femmes,

parents et enfants (…) »

 

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Ils ont détruit les figurines de terre devant la maison du vieux Yacouba. Et les oiseaux fuient devant ces fauves rugissants, les crocs acérés ; ne restent que les vautours, gris et noirs. Le village est vaincu après une rude bataille. Le chef de ces guerriers venus de nulle part salue d’une bien étrange façon le courage des villageois qui se sont vaillamment défendu : il épargnera les femmes et les enfants qui pourront partir au petit matin en emportant tout ce qu’ils peuvent, tandis que les hommes resteront captifs, lui appartenant désormais corps et âme. Cruel marchand d’hommes…

Naya ne peut se résoudre à un tel chagrin, à quitter son père et le jeune homme dont elle était secrètement amoureuse. Elle mobilise alors tout son courage au cours de cette nuit ultime qui précède le départ. Alors que tout le monde est endormi, elle affrontera les ténèbres de la jungle et les yeux brillants des prédateurs. Et elle chuchotera, encore une fois, de sa voix apaisante, murmurera à l’oreille des femmes pour créer, modeler, le rêve le plus beau qui soit :

« A l’oreille de ses cousines

et amies, à l’oreille de ses voisines, de toutes les femmes du village,

elle souffle le même rêve. Et la nuit redevient calme comme autrefois.

Comme avant que la guerre n’ait pénétré dans le village.

Et toutes les femmes font le même rêve.

Un rêve de force et de courage ».

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L’écriture de Philippe Lechermeier nous enveloppe, comme la voix délicate de Naya. Elle est chaleureuse, émouvante, rendant grâce à sa belle héroïne et au courage des femmes. Elle a l’élégance et le charme des contes, nous plongeant dans l’imaginaire délicieux de la nuit et dans l’universalité d’une histoire traversée par de belles valeurs où le salut se trouve dans la générosité, la douceur et la puissance des rêves.

Les illustrations de Claire de Gastold subliment littéralement le texte. Le travail de la couleur est remarquable, tout en éclat, lumière et profondeur avec ce magnifique bleu de nuit (La couverture est saisissante, attire immédiatement l’œil ; je vous mets au défi d’y résister ! )

Les pages fourmillent de détails exquis, à la façon du Douanier Rousseau, qu’on prend grand plaisir à examiner, tout comme on décortiquerait un rêve, avec gourmandise, ravis de toute cette généreuse exubérance. Et les oiseaux…quelle réussite ! Il y en a de toute sorte, arborant de si beaux plumages : flamants roses, colibris, perroquets, toucans, aigles, aigrettes… Ces messagers des beautés de la nuit et des espoirs du jour, ces passeurs entre les mondes, s’élèvent bien haut, au-dessus du tumulte, jusqu’aux cimes des arbres, des montagnes et des rêves…

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Je remercie vivement les éditions Thierry Magnier de m’avoir envoyé cet album. J’ai fait un très beau voyage en sa compagnie.

 

Je vous invite à vous rendre sur la page Facebook de Philippe Lechermeier.

 

Et partez loin, très loin, dans le merveilleux univers de Claire de Gastold grâce à son site.

 

 

Publié aux éditions Thierry Magnier en septembre 2016.

Par une belle nuit d’hiver : Jean E. Pendziwol et Isabelle Arsenault

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Je n’ai pas résisté à vous chroniquer cet album d’une grande délicatesse. La résonance était trop belle avec ma lecture précédente Une nuit pleine de dangers et de merveilles de Carl-Keven Korb et Kevin Lucbert : on retrouve encore du Québec avec le merveilleux talent de l’illustratrice Isabelle Arsenault, au diapason de l’écriture aimante, chuchotante et enveloppante de la canadienne Jean E. Pendziwol. Les nuits sont décidément magiques dans cette région du monde ! Et les étoiles n’en finissent pas de scintiller dans ces longues nuits au plein cœur de l’hiver. Nul danger rassurez-vous dans cet album, nul effroi « korbesque » ou « lucbertien » ! Aucune trace de l’abominable Tranchemontagne. Ici la nuit est sereine et promet à un petit garçon profondément endormi bien des merveilles. C’est la nuit de la première neige qui tombe. Les flocons recouvrent le sol « d’une couverture toute douce », aussi douce que celle dans laquelle l’enfant s’est blotti. Les animaux sortent de leur abri et foulent le beau tapis blanc. Les arbres s’ornent de diamants étincelants et le ciel se pare de couleurs changeantes. Tout fait de cette nuit un véritable tableau que notre petit garçon pourra contempler quand il se réveillera…

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« Je commence par un tout petit flocon,

un flocon parfait,

merveilleux

et unique,

comme toi.

Puis j’en peins un autre,

Et un autre encore ».

La nuit est noire, très noire dans laquelle dort le petit garçon aux poings fermés mais c’est pour mieux préparer un fabuleux spectacle. Théâtre d’ombre puis de lumières, la nuit s’anime peu à peu. Éclairée par la neige et la lune, elle laisse apparaître une Nature gracile et généreuse.

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A une subtile palette de gris, Isabelle Arsenault ajoute des touches délicates de couleurs : le vert des pins, le rouge des pommes que mangent la biche et son faon, les yeux jaunes de la chouette, maîtresse impériale de la nuit, le roux du renard (merveilleux renard qui apparaissait déjà dans l’album Jane, le renard & moi) et le ciel devenu violet, également chahuté par « des mélodies de vert, de rose et d’orange ».

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Mélangeant le crayon, la gouache, l’aquarelle et l’encre, Isabelle Arsenault n’est-elle pas le peintre de ce tableau nocturne ? La finesse de son trait et la douceur des tons apportent une réelle féerie à cette nuit d’hiver.

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Le texte de Jean E. Pendziwol est lui aussi éclatant de douceur. Les mots font de ce petit garçon le petit prince d’une nuit qui se fait belle rien que pour lui. Elle l’enveloppe de sa bienveillance et lui chuchote des mots précieux :

« D’un coup de pinceau,

la lune t’envoie de ma part

un baiser tout doux,

et le vent te murmure

« je t’aime ».

Un livre qui nous est devenu cher à mon petit garçon et à moi. Ses lectures et relectures nous font chaud au cœur et présentent la nuit comme un moment apaisé, réconfortant et magique, empli de jolies promesses.

Je tiens à remercier Madame lit dont le blog recèle lui aussi de très belles découvertes. C’est en lisant ses billets sur les précédents albums illustrés par Isabelle Arsenault Virginia Wolf et Jane, le renard & moi (on y retrouve Jane Eyre) que j’ai fait la connaissance de cette artiste québécoise qui se fait l’alliée de textes empreints de littérature, de poésie et de sentiments forts et subtils, tels qu’en peuvent ressentir les enfants et adolescents. Vous pouvez lire aussi ce billet sur sa dernière œuvre, Une berceuse en chiffons : la vie tissée de Louise Bourgeois.

Je vous invite ardemment à visiter le site d’Isabelle Arsenault, quasi sûre que vous serez charmés.

Et pour mieux connaître Jean E. Pendziwol, c’est par ici.

Voilà plusieurs lectures que je fais sur la Nuit. Cela me donne des envies de vagabondages et d’explorations en tout genre…Je crois que j’aimerais y consacrer un mois thématique ! Décembre serait particulièrement approprié étant le mois de la nuit la plus longue. Si vous êtes intéressés, vous pourriez y participer. Toute lecture serait bienvenue : fictions jeunesse et adulte (littérature « blanche », SF, polar, fantastique…), albums, BD, essais pourquoi pas…Cela se ferait en toute légèreté : du plaisir avant tout, pas de contrainte, une seule œuvre lue pourrait largement suffire.

Cela me plairait beaucoup. Je vais y réfléchir et reviens vers vous rapidement. A bientôt !

Publié par les éditions Magnard Jeunesse en janvier 2014

Le Mystère du Monstre : S.Corinna Bille & Fanny Dreyer

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« Mangez bien votre soupe, Achille et Blaise, et je vous raconterai l’Histoire du Monstre.

Elle est vraie ton histoire ?

Elle est vraie.

Tout à fait vraie ?

Oui. Ce Monstre, mes enfants, n’est pas celui des contes ni des fables. Ce Monstre, mes petits, c’est le nôtre. »

Ah, quel délicieux rituel que celui de l’histoire du soir, surtout quand il s’agit de frissonner aux côtés de maman qui va raconter une histoire de monstre à nulle autre pareille, c’est-à-dire une histoire réelle de Monstre dont les faits se sont déroulés ici

Ici c’est en Suisse, dans le canton du Valais. Et la maman qui raconte cette terrible histoire, qui l’a vécue ( !), est l’écrivaine suisse S. Corinna Bille (1912-1979), auteure de poèmes, de pièces de théâtre, de contes, de romans et de nouvelles (elle obtint en 1975 le Goncourt de la nouvelle pour La demoiselle sauvage). Elle fut l’épouse de l’écrivain et du poète suisse lui aussi Maurice Chappaz. Ils eurent trois enfants, Blaise, Achille et Marie-Noëlle.

Voici donc l’histoire…Après-guerre en Suisse, en 1946, commença pour les habitants du canton verdoyant et forestier du Valais le « temps du Monstre ». On trouva des moutons égorgés dans l’alpage du village de Chandolin. Les victimes devinrent de plus en plus nombreuses ; il y eut même des veaux et « un gros verrat » qui connurent ce sort funeste. Le Monstre étendit rapidement son territoire de chasse à tout le canton et il était insaisissable : il « visitait toutes les vallées, courait du Haut-Valais dans le Bas-Valais et vice-versa, à toute vitesse ». Tout le monde se mit à en parler, à le redouter, et il devint un véritable phénomène médiatique, tout auréolé de mystère : qu’était-il, quelle sorte d’animal pouvait être aussi féroce ? Son appétit vorace, les traces de ses crocs dans la gorge de ses victimes (celles qu’a vues de ses propres yeux maman !), ses empreintes, ses poils arrachés firent de lui une panthère pour les uns, un léopard pour les autres, un chacal, un tigre du Tibet, un lynx, une hyène…On fit intervenir des experts, des savants mais même eux ne savaient pas définir le monstre : « En vérité, tout le monde donnait sa langue au chat ».

 

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Des battues furent organisées par les gendarmes et les chasseurs mais le Monstre leur fila entre les doigts. Il était décidément bien malin et très gourmand :

« Pendant que tout le monde se creusait la tête et imaginait Dieu sait quoi, notre Monstre ne s’ennuyait guère. Il trottait, mordait, croquait, broyait, suçait, buvait, se gavait, se pourléchait, puis s’endormait…

Longtemps ?

Jamais longtemps. Il se réveillait, retrottait, remordait, recroquait, etc. »

 

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En désespoir de cause, on conduisit même un ténor d’Amérique au beau milieu de la forêt pour débusquer le Monstre : il « roulait beaucoup les r » et prétendait « par [sa] voix si belle, atendrrrirrr le Monstrrre ».

L’imagination vagabonde, fonctionne à plein régime, on ne laisse plus sortir les petits enfants…Quelle frayeur quand maman et l’oncle René-Pierre (René-Pierre Bille, photographe et cinéaste animalier) apprirent dans les journaux que l’antre du Monstre se trouvait dans la Forêt de Finges, là où ils s’étaient rendus quelques jours plus tôt avec Blaise alors tout bébé :

« Tandis que toi, Blaise, tu as bien failli être mangé.

Moi, mangé ?

Oui, mangé. On était parti au fond de la Forêt de Finges pour y chercher des fraises. « Là-bas, il y a une clairière où on en voit tellement que c’est tout rouge, par terre ! » nous avait assuré votre oncle René-Pierre. Toi, tu étais dans un pousse-pousse, tout blond-bouclé, tout rose et doré ! Une délicieuse bouchée pour un Monstre, un vrai petit dessert… »

 

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Un Monstre qui fait donc partie de l’Histoire de la Suisse mais aussi de l’histoire familiale…Blaise et Achille en sont un peu effrayés mais surtout émoustillés, et ils redemandent des détails sur le Monstre ! Maman ne se fait pas prier, les histoires ça la connaît. Elle joue volontiers avec la peur de ses petits garçons en créant des effets de mystère et de surprise. Taquine, et tendre, elle titille aussi leur patience en usant de digressions qui enrichissent son récit, l’ancrent dans le réel, et le ralentissent, faisant trépigner les enfants (« Mais le Monstre, maman ? »…)

Il ne s’agit donc pas de traumatiser ces chers petits en leur racontant une histoire épouvantable, bien au contraire. S. Corinna Bille s’empare de la peur, l’anticipe en plongeant les enfants dans une histoire certes basée sur des faits réels mais surtout rocambolesque où l’imagination tint le premier rôle. Et puis il y a une série de personnages savoureux qui peuplent ce récit : le Grand-Gendarme, bel homme et galant, le berger Hilaire, fanfaron qui prétend avoir vu le Monstre alors qu’il est « le plus grand et le plus fort soûlon du val d’Anniviers », le ténor d’Amérique qui veut charmer le Monstre, le chasseur d’Afrique qui se trouve par hasard en vacances à Chandolin…Du plaisir donc, beaucoup de plaisir, pour les petits auditeurs et pour nous, lecteurs !

Les illustrations de Fanny Dreyer participent à cette délectation, à cette délicieuse frayeur ressentie. Elles sont tour à tour précises, naturalistes et fantaisistes. On y voit de drôles de bêtes et des cousins de Max et les Maximonstres qui feraient un petit tour en Afrique. Fanny Dreyer nous offre des détails rigolos à observer et des paysages de forêt dans lesquels se plonger. Les fonds sont très beaux, percés de lueurs étranges, celles des yeux de la forêt, les yeux du Monstre. Sa technique qui associe l’ecoline (encre aquarelle) et le crayon lui permet d’alterner profondeur et légèreté. Une très belle réussite. Elle rend tout autant hommage aux illustrations originales de Robert Hainard (cet album fut publié une première fois par les éditions du Verdonnet en 1967) qu’elle s’en affranchit avec vive fantaisie.

 

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Planche de Robert Hainard

Je termine cette chronique en faisant remarquer que c’est la deuxième fois que les albums des éditions de La Joie de Lire me donnent l’occasion et l’envie de découvrir des auteurs littéraires suisses : S. Corinna Bille et Maurice Chappaz avec cet album, et Nicolas Bouvier avec Des fourmis dans les jambesLa Joie de Lire, un éditeur jeunesse précieux dont on tombe vite amoureux !

A découvrir les autres œuvres de S. Corinna Bille et de Fanny Dreyer publiées par la Joie de Lire.

A visiter également le site de Fanny Dreyer (elle a récemment illustré la pièce de théâtre écrite par Ramona Badescu Moi Canard édité par Cambourakis).

Et si cette histoire – véridique – du Monstre du Valais vous a intéressé(e)s et que vous vous sentez d’humeur chercheuse, je vous invite à lire ce Mémoire présenté à l’Université de Lausanne qui recense toute l’affaire, documents d’époque à l’appui.

 

Publié aux éditions La Joie de Lire en octobre 2012.
1ère édition en 1967 aux éditions Verdonnet et en 1968 aux Cahiers de la Renaissance Vaudoise (illustrations de Robert Hainard)
Puis édité à La Joie de Lire en 1993 avec toujours les illustrations de Robert Hainard.

Une île : Fanny Michaëlis

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L’album Une île nous raconte le combat intemporel entre l’homme et la mer. Un pêcheur et sa femme vivent sur une presqu’île « dans [une] baie isolée du reste du monde ». Derniers habitants d’un village qui se meurt faute de naissances, ils affrontent au quotidien une mer rageuse qui n’a de cesse de balayer et de tourmenter de ses flots ce pauvre petit bout de terre. Elle en serait d’ailleurs facilement et rapidement venue à bout si elle n’avait accepté un jour un pacte proposé par les villageois : « Tant qu’un des leurs foulerait de ses pieds le sable de ses côtes, elle ne pourrait engloutir la péninsule. En échange de quoi, ils se contenteraient de pêcher à marée basse et épargneraient la faune de ses grands fonds ». Mais la mer finit par se lasser, s’impatiente dangereusement, ses vagues se gorgent de fureur, grossissent de plus en plus. Et un jour, miracle ! La femme du pêcheur tombe enceinte. Il y aura donc encore âme qui vive pour tenir tête à la mer. Mais la petite fille qui naît est minuscule, telle une Poucette, « pas plus grande qu’un noyau de cerise », et la mère, brûlante de fièvre, mourra en couches ; le combat est-il perdu d’avance ? Rien n’est moins sûr. Il semblerait que notre héroïne lilliputienne en sorte victorieuse…

Ce beau récit, qui prend sa source aux contes et aux mythologies, Fanny Michaëlis l’accompagne d’illustrations en bulles d’écume, virevoltantes, éclatantes de légèreté, de délicatesse, d’étrangeté, d’onirisme et grouillantes de vie.

Le format à l’italienne sied à merveille à ces dessins qui regorgent de détails. L’aspect pictural est très fort. On pense à la finesse des miniatures persanes. Il y a un soin tout particulier apporté aux motifs des tissus, à la trame des filets de pêche, au tissage des nasses, aux écailles des poissons, aux carapaces des crevettes, aux coquillages…On goûte aussi à la délicatesse des estampes japonaises avec des scènes de pêche et une faune marine rappelant l’art d’Hokusai et d’Hiroshige.

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Et la douceur de la femme du pêcheur devenue mère, sa toute petite fille endormie dans ses fabuleux cheveux roux, est le reflet lumineux et tout en courbes de la partie centrale du tableau Les 3 âges de la femme de Klimt.

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La chevelure de la mère est fantastique, de même que la barbe du père, rousse également, dans laquelle se réfugie l’enfant ; l’enfant qui ne se sépare jamais de l’étrange poche de fourrure dans laquelle elle est née :

 

« Elle traînait partout derrière elle ce pelage qui conservait l’odeur de sa mère. Dévalant la montagne, soulevée comme une plume par le vent et les embruns, parcourant la forêt, les plages et le sommet des arbres. Poussière, racines, graines, insectes et coquillages s’emmêlaient dans les poils qui avaient poussé avec le temps. »

 

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Cheveux et poils se tissent, s’entrelacent, semblent pousser indéfiniment, se mêlent aux algues et aux courants, se font le curieux fil conducteur de cette histoire : enveloppant la petite fille et la protégeant de la mer en furie qui engloutit tout sur son passage, ils la mèneront jusqu’à une île féerique, luxuriante, bien loin de la presqu’île « sèche et désolée. »

 

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Il y a une puissance onirique qui renvoie à la maternité, et à la paternité. La naissance est célébrée avec faste. Les illustrations délicates et éclatantes de Fanny Michaëlis (les couleurs sont très belles) débordent d’imaginaire et invitent tous les possibles. Tout est mouvant, se transforme, croît, est fluide, liquide…

Un ravissement pour les yeux du lecteur, qu’il soit petit ou grand. Mon petit garçon a ainsi été captivé par les poissons : il s’est régalé avec les narvals, les anguilles, les bars, les poissons multicolores…Laissez -vous emporter vous aussi par les flots de cet univers singulier, atypique, chatoyant et envoûtant.

 

Si vous voulez poursuivre le voyage, plongez- vous dans le précédent album jeunesse de Fanny Michaëlis, toujours aux éditions Thierry Magnier, Dans mon ventre.

 

Et, dans une très belle tonalité noir et blanc, cette fois-ci exclusivement réservées aux adultes, découvrez ses BD publiées aux éditions Cornélius : Avant mon père aussi était un enfant, Géante et Le lait noir.

 

Bien sûr, vous ne manquerez pas de visiter le site de Fanny Michaëlis.

 

Publié aux éditions Thierry Magnier en septembre 2015.

Papa à grands pas : Nadine Brun-Cosme et Aurélie Guillerey

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Dimanche, c’est la fête des pères ! L’occasion rêvée pour vous présenter un album à la fois doux et pétillant, de couleurs et d’imagination, écrit par Nadine Brun-Cosme et si joliment illustré par Aurélie Guillerey. Je suis une inconditionnelle du talent de cette illustratrice, toujours séduite par la générosité de ses couleurs et ses trouvailles drôles et élégantes. On ne peut que fondre en lisant ce « Papa à grands pas », un papa épatant, qui n’a pas son pareil pour rassurer son fiston Mathieu, inquiet ce matin. En effet, « ce matin, la vieille voiture verte de papa a du mal à démarrer. On dirait qu’elle a le hoquet ! » Alors si ce soir elle tombait en panne, comment ferait papa pour venir le chercher à la crèche ? Eh bien c’est simple. Il suffit d’un peu (beaucoup) d’imagination et faisons-lui confiance, « Papa à grands pas » n’en manque pas quand il s’agit de rassurer son petit garçon !

 

A chaque question que lui pose Mathieu, sur comment va-t-il faire, il trouve la réponse. Il ne « sèche » jamais et expose à chaque fois la parade idéale qui va balayer les inquiétudes de son fils. Ainsi, si la vieille voiture ne veut pas démarrer, quoi de plus facile que d’emprunter le « gros tracteur rouge du voisin »…

 

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Et si le tracteur crachote lui aussi un peu trop, zou ! Il n’y a qu’à monter sur « ce gros doudou paresseux qui dort au bout de ta couette » !

 

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Et si le doudou est trop profondément endormi, les oiseaux du jardin se feront un plaisir de faire voler papa dans les airs jusqu’à la crèche :

 

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Etc., etc.…Car il y en a des « et si… » dans la bouche de Mathieu ! Un jeu tendre s’engage alors entre le père et le petit garçon, chacun « rivalisant » de trouvailles pour raconter l’histoire d’un super-papa, prêt à tout pour serrer le soir dans ses bras son fils adoré. Le texte de Nadine Brun-Cosme est doux et rassurant. Un cocon pour les petits enfants qui se posent souvent cette terrible question de l’abandon et du « m’aimes-tu assez ? » Que c’est bon de sentir qu’un adulte aura toujours les ressources nécessaires pour nous retrouver ! Rien ne lui est impossible pour nous couvrir de bisous. Surtout quand on est « Papa à grands pas ».

Une très belle complicité, solide, existe entre ce papa et son p’tit gars. Ils s’amusent autant l’un que l’autre à inventer des péripéties, à apporter des solutions, et à se raconter une histoire. L’imagination vagabonde, fonctionne à plein régime, turbine, s’emballe, faisant se succéder des situations de plus en plus cocasses.

Les illustrations d’Aurélie Guillerey sont le pendant parfait de cette tendre vivacité. Les couleurs éclatantes ravissent le regard et donnent l’irrésistible envie de sourire. Le noir, présent sur chaque page (c’est la marque de fabrique d’Aurélie Guillerey), permet de rehausser l’éclat des couleurs et donnent une tonalité très élégante. Je trouve ce papa très séduisant dans son costume noir, à la silhouette dégingandée. Léger, gracile, rien ne l’arrête pour voler au secours de son petit garçon ! Remarquez, c’est logique, sa vieille voiture verte n’est-elle pas immatriculée « PAPA 007 » ?

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Un papa extra qui s’illustre non par sa force physique, ses exploits sportifs, son ingéniosité en bricolage ou en mécanique ; il n’y a qu’à constater l’état de sa voiture, toit percé, recouvert d’un parapluie pour parer aux averses, et qui est encore encombré du service à thé du matin qu’on n’a pas débarrassé car vite, vite, on est pressé, pour être à l’heure à la crèche et au travail ! Un papa qui s’illustre surtout par la force de son imaginaire et de sa tendresse. Une bien belle transmission s’opère entre ce papa et son petit garçon ! J’ai beaucoup apprécié la couleur rose de la page de garde qui nous fait entrer dans un univers de douceur.

Que j’aime ce papa !! Cela tombe bien, j’en connais un…et je parie que vous aussi !

 

A visiter absolument le site d’Aurélie Guillerey.

A lire son interview dans le blog Agent 002, avec de très belles photos de ses œuvres.

Je vous invite aussi à vous plonger dans l’album Bien fait pour vous (éd. Milan jeunesse) écrit par Claire Clément et qui montre le beau travail effectué sur le noir d’Aurélie Guillerey. Les paysages d’automne et d’hiver sont magnifiques !

Et bien sûr rendez-vous sur le site de Nadine Brun-Cosme, auteure d’albums, de romans, de pièces de théâtre, d’essais. J’aime beaucoup sa série « Grand loup et petit loup » (Les albums du Père Castor), notamment le tome 3 Une si belle orange ; le texte est d’une très belle sensibilité.

 

Publié par les éditions Nathan en mars 2015.

Gustave dort : Albert Lemant

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Aujourd’hui dans Des Livres tous azimuts, il y aura des frissons, du rêve, de l’humour et des gravures…Vos yeux s’écarquilleront d’effroi et se rempliront de merveilles ; alors, prêts ?

Bienvenue dans les nuits de Gustave, des nuits magiques, horrifiques, magnifiques ! Des créatures à foison peuplent son imagination. Elles s’invitent dans sa chambre et l’entraînent dans une folle sarabande, le laissant épuisé et heureux au petit matin, alors qu’il est déjà l’heure de se lever pour aller à l’école…C’est qu’elles sont trépidantes, les nuits de Gustave ! Il y croise Don Quichotte qui l’invite à « trucider des moulins à vent », puis des cosaques sanguinaires, Gargantua, le Chat Botté, Barbe-BleuePerrault, Rabelais, Cervantès, la « sainte Russie » mis côte à côte, cela vous rappelle quelque chose ? Eh oui, nous sommes bel et bien dans l’univers de Gustave Doré. Albert Lemant lui rend un hommage des plus réussis et des plus gourmands. Ses gravures (Albert Lemant a été taille-doucier), exposées dans ce bel album au format à l’italienne, démontrent une imagination truculente et débridée, qui pioche aussi du côté d’Alice au Pays des Merveilles, Tintin, Max et les Maximonstres, Little Nemo, et d’autres…Un formidable voyage dans le rêve, le conte, le bizarre, les peurs délicieuses…Allez, embarquez-vous !!

 

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C’est le musée d’Orsay qui a passé commande auprès d’Albert Lemant pour cet album jeunesse s’inscrivant dans l’exposition Gustave Doré (1832-1883) : l’imaginaire au pouvoir (18 février au 11 mai 2014). Il faut dire qu’Albert Lemant aime les musées. Cet illustrateur, qui est aussi graveur, peintre, écrivain jeunesse et adulte (cf. Bogopol, qu’il a signé Albert Lirtzmann aux éditions Panama, aujourd’hui malheureusement défuntes et qui avaient réédité des titres de La Bibliothèque de Babel, collection de littérature fantastique dirigée par Borges) a conçu et mis en scène plusieurs expositions. En compagnie de son épouse Kiki, plasticienne de son état, il a investi le musée du Quai Branly en 2010 lors de l’exposition La Route des Jeux, présentant une collection de jeux ayant appartenu au pirate Jean Lafitte, qui a réellement existé. Et toujours avec Kiki, il a installé des girafes géantes en papier mâché sorties tout droit de l’album Lettres des Isles Girafines (éd. Seuil Jeunesse), dénonçant avec humour et poésie le colonialisme en Afrique ; on trouve ses girafes actuellement au Museum d’histoire naturelle de Toulouse pour l’exposition Il était une fois…Girafawaland.

Il était normal qu’Albert Lemant croise la route de Gustave Doré, tous deux experts en diversifications artistiques, fantaisistes, oniriques, tous azimuts !

 

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Don Quichotte, Gustave Doré

 

De plus, Albert Lemant fait figure d’autorité en matière de contes et de frousse puisqu’il est l’auteur, entre autres, du désormais classique ABC de la trouille (éd. L’Atelier du Poisson Soluble, 2011) que l’on montre à nos bambins ravis et effrayés dans les écoles maternelles (ma fille Jeanne peut en témoigner) et du désopilant Les Ogres sont des Cons (éd. L’Atelier du Poisson Soluble, 2009).

Un univers « lemantesque » foisonnant, qui se nourrit de plaisirs, de frayeurs, de rêveries échevelées, de voyages au bout du monde et au bout de la nuit, et qui se déploie superbement dans cet album Gustave dort. Les gravures en double-page fourmillent de détails qu’on ne se lasse pas d’observer. Votre petit(e) compagnon (compagne) à qui vous ferez la lecture se sentira l’âme d’un(e) explorateur(trice) en plongeant dans ces illustrations qui remplissent les yeux, prendra plaisir à s’identifier au jeune Gustave et à reconnaître les personnages qu’il croise : oh ! Le Chat Botté ! Et ici, l’Ogre ; là, la Reine de Cœur d’Alice au Pays des Merveilles, ou encore les Trois Brigands (hommage délicieux à Tomi Ungerer). Et tout ce beau monde de s’interpeller, de se courir après, de se faire peur, de se faire tomber dans la marmite de l’un ou dans la grande bouche de l’autre, de se battre comme des chiffonniers…

L’on cherchera également au beau milieu de ce tumulte, dans chaque page, une petite poule couleur « vert Véronèse » qui accompagne Gustave. Voici ce qu’en dit Albert Lemant :

« On raconte qu’un jour en Alsace un petit garçon à qui on avait donné de la peinture mais pas de toile pour peindre n’aurait rien trouvé de mieux comme « support » qu’une petite poule qui passait par-là, et l’aurait entièrement recouverte de vert Véronèse. »

« On dit aussi que cette poule verte hanta longtemps les rêves, souvent noirs, du petit garçon qui, né en 1832, deviendra un des plus grands illustrateurs de tous les temps ».

 

On note ainsi que Gustave Doré était alsacien, de même que Tomi Ungerer (moi-même, du côté de mon père, mais bon, je reste complètement objective quant à la qualité de cet album 🙂 ), ce qui explique les maisons à colombage en toile de fond et les Alsaciennes à coiffe côtoyant Don Quichotte ou le Grand Méchant Loup.

 

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J’espère vous avoir donné l’envie de vous (re)plonger dans l’œuvre d’Albert Lemant. Si vous êtes un tant soit peu sensibles à l’humour, à l’imaginaire, au jeu, au beau, visitez illico le site de l’auteur.

A découvrir aussi (je ne l’ai pas encore lu malheureusement) son dernier ouvrage Encyclopédie de cet idiot d’Albert (toujours à L’Atelier du Poisson Soluble, septembre 2015).

Et rendez-vous à l’exposition de l’Abbaye de l’Escaladieu à Bonnemazon (Hautes-Pyrénées) intitulée Les Très riches heures (non pas du duc de Berry) de Kiki et Albert Lemant !

Publié en coédition par L’Atelier du Poisson Soluble et le Musée d’Orsay (janvier 2014)

Le merveilleux dodu-velu-petit : Beatrice Alemagna

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C’est quoi, un « dodu-velu-petit » ? Sans doute un cadeau merveilleux, pense Edith, cinq ans et demi, quand elle entend sa sœur prononcer ces mots au sujet de l’anniversaire de leur mère. C’est sûr, sa sœur, qui est déjà « la reine du patin à glace », alors qu’elle, elle ne sait rien faire, va offrir le plus beau des cadeaux ! Vite, vite, Edith veut trouver elle aussi un cadeau magnifique, alors, vêtue de sa doudoune rose fluo, son petit sac rouge en bandoulière, elle se précipite dans les rues de son quartier à la recherche de la boutique qui vendrait un tel trésor…

On va l’accompagner un peu partout, Edith, « Eddie pour les amis ». Avec sa caboche irrésistible (les cheveux en pétard, le nez en trompette, les joues roses, les yeux ronds comme des billes), elle a une énergie du tonnerre ! Elle se rend à la boulangerie, chez la fleuriste, la modiste, l’antiquaire, et elle surmonte même sa peur en franchissant le seuil de la boucherie du redoutable Théo, là où pendent les saucisse et les têtes de malheureux cochons…On en profite pour se régaler des illustrations de Beatrice Alemagna qui fait de chaque boutique une véritable caverne d’Ali Baba. Il y a une multitude d’objets, de gourmandises, qui débordent des présentoirs, et s’étalent dans des vitrines fabuleuses. On apprécie l’art de la découpe de Beatrice Alemagna qui, avec un effet « brut », colle des morceaux de papiers et de tissus juxtaposant ainsi des couleurs et des motifs variés.

 

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Il y a une profusion de vie, d’odeurs, de couleurs, cela étourdit un peu. Mais Eddie ne s’arrête pas. Elle bouge, fonce, court, pour trouver un cadeau à sa maman ! L’auteur alterne les plans pour suivre la course de sa petite héroïne : plan d’ensemble, rapproché, gros plan, contre-plongée, Eddie vue de face, de dos, de profil, ou juste ses pieds…C’est qu’elle en a de l’énergie et de la ressource cette petite cousine de Fifi Brindacier dont les paroles citées ouvrent l’album : « C’est mieux que les petites personnes vivent une vie ordonnée. Notamment s’ils peuvent l’ordonner eux-mêmes ».

 

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Malheureusement, aucun commerçant ne vend de « dodu-velu », ou de « touffu-velu », ou bien encore de « doudoune velue »…on finit par s’y perdre. Mais comme Eddie est une petite fille qui leur est chère, ils lui donnent chacun un petit objet précieux en gage d’amitié. Ainsi Eddie remplit son petit sac et ses poches d’une brioche, d’un trèfle à quatre feuilles, d’un bouton de nacre, d’un timbre de la Marine anglaise « RA-RI-SSI-ME ! » Qui sait, peut-être que ces objets lui seront utiles dans sa recherche ?

Mais Eddie commence à se décourager, elle ne sait plus vraiment où chercher. Et puis, la neige s’est mise à tomber…

Alors, le trouvera-t-elle, son « dodu-velu-petit » ?

Pour le savoir, plongez-vous sans attendre dans cet adorable album. Pelotonnez-vous, vous et vos petits, dans sa grande douceur et rendez hommage à la ténacité d’Eddie qui veut trouver le plus beau des cadeaux. Je nous souhaite d’ailleurs à tous de dénicher ce fameux « dodu-velu-petit » afin de l’offrir à ceux qui nous sont les plus chers…

Pour vous donner l’eau à la bouche, vous pouvez regarder la bande-annonce et visiter le site de Beatrice Alemagna.

A lire également la chronique C’est quoi un enfant ?

Publié aux éditions Albin Michel Jeunesse (novembre 2014).

C’est quoi un enfant ? Beatrice Alemagna

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Un nouveau rendez-vous tout doux des Livres tous azimuts. J’ai vraiment été charmée par l’univers de Beatrice Alemagna. Alors je vous propose pas moins de deux chroniques pour vous présenter deux albums irrésistibles : C’est quoi un enfant ? et Le merveilleux dodu-velu-petit .

Alors, c’est quoi un enfant ? Grande question qui trouve ses réponses, tendres et si justes, dans cet album de Beatrice Alemagna. Ses collages de papiers et de tissus, agrémentés de traits au pastel, et accompagnés de textes qui font sourire tout en réchauffant le cœur, composent une belle et fantaisiste série de portraits d’enfants.

Sur la page de gauche, il y a les textes. On a l’impression de feuilleter un cahier d’école. La police d’écriture, enfantine et appliquée, et les petits carreaux, sur lesquels s’accrochent studieusement les lettres, invitent le lecteur à une jolie leçon de choses. L’on apprend ainsi que :

« Les enfants désirent d’étranges

choses : avoir des chaussures qui

brillent, manger de la barbe à papa

au petit déjeuner, écouter tous

les soirs la même histoire. »

Alors que :

 « Les grands aussi ont d’étranges idées

en tête.

Prendre un bain tous les jours,

cuisiner les haricots au beurre,

dormir sans le chien jaune.

« Mais comment fait-on ? » demandent

les enfants. »

Eh oui, un enfant, c’est ce que n’est pas, ou n’est plus, un adulte ! Beatrice Alemagna pose avec douceur ce qui différencie les petits des plus grands.

Et ses dessins, sur la page de droite, reflètent avec humour et délicatesse ses jolis textes. Des portraits pleine page, qui nous renvoient les drôles de bouilles de ces chères petites personnes. L’on voit des yeux rêveurs, des bouches grandes ouvertes, des larmes qui n’en finissent pas, des nez qui coulent, des sourires béats, des dents habillées d’appareils dentaires…

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Chaque petite fille, chaque petit garçon, est comme croqué(e) sur le vif et immortalisé(e) dans cette parenthèse enchantée qu’est l’enfance. Certes, c’est éphémère, ils grandiront, mais pour l’instant, laissons-les dans leur monde de papillons, de flocons de neige, de coquillages qui chuchotent à l’oreille. Laissons-les tranquilles :

«  Ils n’iront plus à l’école, mais au travail ;

peut-être qu’ils seront heureux,

qu’ils auront la barbe,

ou les moustaches en l’air,

ou les cheveux teints en vert.

Peut-être qu’ils feront des caprices pour

des choses étranges comme

un téléphone qui ne sonne pas

ou la circulation. »

 

« Mais pourquoi s’en soucier maintenant ? »

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Une évidente nostalgie nous étreint au fil des pages. Que ne donnerait-on pas pour retrouver ces instants de magie, de réelle intensité ? Heureusement, tout n’est pas perdu, nous souffle Beatrice Alemagna : il paraîtrait que certains adultes sont encore « émus par des petites choses » et gardent « un mystère dedans ». D’ailleurs, ne dédicace-t-elle pas son livre à « cette grande personne qui n’a jamais oublié son chien jaune ? »

A lire l’entretien que Beatrice Alemagna a accordé à Ricochet. On mesure tout le respect qu’elle accorde à ses jeunes lecteurs et combien l’enfance, dans ses rêves, ses espoirs, mais aussi ses inquiétudes, l’habite encore.

Et à visiter son site pour se régaler de ses créations remplies de tendresse et de joyeuse inventivité.

A lire également la chronique Le merveilleux dodu-velu-petit.

Publié aux éditions Autrement Jeunesse (janvier 2009).

L’Amour ? Ramona Badescu et Benjamin Chaud

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Un savoureux album. Très attachant, il vous liera tendrement à votre petit(e) compagnon(compagne) de lecture. Vous partirez ensemble à la recherche de l’Amour, ce drôle de personnage « petit, gris et carré » qui a la bougeotte, ce bougre, et se faufile à travers les pages. Il n’est pas vraiment beau, avec son gros nez écrasé, ses deux toutes petites pattes et sa queue de chat rayée. Mais sa bouille est irrésistible, presque autant que celle de son cousin Pomelo, le plus célèbre des éléphants roses créé par le tandem de choc, expert en espièglerie doucette, Ramona Badescu et Benjamin Chaud.

 

Cela commence bien ! On nous annonce que :

L’Amour se cache un peu partout.
Ici et là : dans une poubelle,
dans une fleur blanche ou sous un bras.

Pas simple cette histoire, comment va-t-on mettre la main dessus ? En plus, l’Amour ne sait pas ce qu’il veut : il s’en va, il revient, « il fait des boucles et des nœuds », emmêle tout, attache les un(e)s aux autres avec des fils tout emberlificotés de p’tits cailloux, de boutons, de p’tits poissons, de grelots…de petits riens, fragiles, mais de réels trésors, de ceux qu’on garde précieusement dans les poches, tout contre soi. Et des petits riens, mis bout à bout, cela fait un grand Tout !

 

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Benjamin Chaud nous fait suivre un de ces fils, rouge, sur lequel l’Amour fera le funambule, fabriquera de drôles de machines avec des rouages, des poulies, qui permettront de concocter le fameux élixir d’amour ; le fil permettra aussi à l’Amour, devenu cuisinier, d’expérimenter des recettes en suspendant les ustensiles dont il a besoin ; le fil se transformera ensuite en spaghetti, faisant rejouer aux amoureux la scène mythique de  La Belle et le Clochard  ; et le fil deviendra corde à linge à laquelle seront suspendues toutes les petites affaires de l’Amour, indispensables pour se refaire une beauté, car il peut être coquet !

 

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Les illustrations malicieuses et colorées de Benjamin Chaud sont un régal pour les yeux. Que l’on soit petit ou grand, on prend plaisir à observer toutes ses trouvailles, ses déclinaisons sur le sentiment amoureux, ses nombreux détails. Les enchaînements sont fluides, légers, primesautiers, et s’accordent parfaitement à la plume alerte et délicate de Ramona Badescu. Elle joue avec les mots, les sens et s’adresse à tous les lecteurs, quel que soit leur âge :

 L’Amour, c’est comme voulez : avec les yeux,
avec le nez ?
En chaussettes ou à la plage ?

Le plus jeune lecteur s’esclaffe, le plus grand sourit, amusé, à l’œil qui frise !

Ces deux-là, Ramona et Benjamin, se sont bien trouvés pour concocter une histoire toute douce, sucrée, rigolote, qui devient vite addictive. Succombez-y ! C’est sans danger ! Léchez-vous les doigts, recouverts de ce récit barbe à papa. Savourez, dévorez, laissez fondre, plongez-y le nez, et par-ta-gez !!

 

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Edité par Naïve en septembre 2005.
Repris par les éditions Cambourakis en janvier 2016.