Un monde flottant :Yôkai & Haïkus :Nicolas de Crécy

Quel beau voyage au Japon nous propose Nicolas de Crécy, auteur de BD et merveilleux illustrateur. Un voyage au pays des haïkus et des yôkai, vous savez ces drôles de créatures que vous avez sans doute vues dans les films d’Hayao Miyazaki et peut-être dans les mangas de Shigeru Mizuki. Figures fascinantes et versatiles du Japon rural, « monstres, divinités, esprits » infernaux, calamiteux, farceurs, cruels, effrayants, les yôkai aident ou tourmentent les hommes depuis des millénaires. « Emanations vivantes de la nature », les yôkai révèlent ce qui grouille et ce qui flotte dans le mystère du monde. Il en va de même pour les haïkus : évoquant les saisons, ces poèmes subtilement calligraphiés fixent un court instant le mouvement du Cosmos, l’évanescence, la sensation. S’appropriant ces concepts pas toujours évidents pour nous Occidentaux, Nicolas de Crécy nous immerge totalement dans son univers foisonnant et souvent facétieux. Nous le suivons, ravis, emportés, dans un voyage célébrant les beautés, les énigmes et les lignes de flottaison du monde. Un voyage qui établit de plus de belles passerelles poétiques et picturales entre le Japon immémorial et celui contemporain des villes vertigineuses, grouillantes, que sont Tokyo et Kyoto et dans lesquelles l’auteur en résidence, quelques années plus tôt, a déambulé.

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Quand j’ai pris connaissance de cet album, il m’a semblé indispensable de me le procurer. J’aime beaucoup l’univers de Nicolas de Crécy qui laisse libre cours à une imagination baroque, drôle, tendre et aussi cruelle. Connaissez-vous sa trilogie Le Bibendum Céleste dans laquelle un phoque unijambiste, plongé dans la jungle urbaine de New-York-sur-Loire, aidé d’un chien obèse, doit affronter le Diable en personne et la brutalité, souvent bestiale, des hommes ? C’est étrange, je vous l’accorde, mais profondément attachant, le dessin est fabuleux, fort, et les images de la ville sont saisissantes. J’étais donc curieuse de suivre de nouveaux personnages, de nouvelles créatures bizarroïdes et de plonger dans des vues urbaines, de mégalopole japonaise cette fois-ci. En 2008, Nicolas de Crécy a été en résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto dont il a arpenté les rues et s’est également imprégné d’ambiances tokyoïtes.

Je suis fan transie de plus des yôkai, les ayant souvent croisés chez Miyazaki  (Mon voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoke) et aussi dans d’autres films tous aussi fabuleux les uns que les autres, d’une puissance imaginaire et émotive maximale (j’en ai versé des larmes, le cœur serré et émerveillée…oui, je suis sensible   🙂  ) : Un été avec Coo de Keiichi Hara , Lettre à Momo de Hiroyuki Okiura  (spéciale dédicace à Goran qui m’avait fait cadeau du DVD pour l’anniversaire de son blog) et l’hallucinant Pompoko dIsao Takahata. Il m’importe également de vous citer NonNonBâ , un manga dans lequel Shigeru Mizuki dessine ses souvenirs d’enfance habités par les récits d’une vieille dame, l’initiant au monde traditionnel et animiste des yôkai ; c’est irrésistible de douceur, de drôlerie et d’étrange…

Alors quand Nicolas de Crécy rencontre ces figures japonaises et y ajoute la poésie des haïkus, il y a une véritable osmose. Une belle réussite à mes yeux que j’ai grand plaisir à partager avec vous.

Sous la forme d’un leporello, rappelant l’emaki, ce rouleau japonais qui se déplie et raconte une histoire dessinée, Un monde flottant nous offre une succession d’illustrations représentant des yôkai sur double-pages, s’inspirant directement des Ukiyo-e, les estampes japonaises traditionnelles gravées sur bois. Des illustrations aux techniques variées, faisant s’alterner le fusain, l’aquarelle, la gouache, l’encre de Chine, le crayon, décuplant ainsi le plaisir des yeux.

   S’orchestre alors, dans le déroulé de ces doubles, voire de ces double double-pages (superbe immersion !) une fabuleuse exposition tournée toute entière vers la fantaisie, l’étonnement, le mystère, la magie de la nature. Appréciez ce panneau enneigé courant sur quatre pages mettant en scène un yôkai moine zen à tête de chien : beauté du contraste de l’orange sur le blanc et sensation de féerie, de flottement. Antoine de Crécy s’est inspiré d’un site montagneux qu’il a découvert en plein hiver, le Koyasan, recouvert de temples bouddhiques et dont la forêt protège des milliers de sépultures (cf. article de bfmtv : La BD de la semaine)

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Pas de fil narratif, une délicieuse liberté est accordée au lecteur qui peut se plonger à l’envi dans chaque dessin : l’image permet de se raconter ses propres histoires. Le seul texte présent est celui des haïkus que Nicolas de Crécy a lui-même composés. Textes volontiers énigmatiques, ils en appellent à la sensation, à l’émotion que peut ressentir celui, celle, qui les lit.

Et le plaisir est double puisque l’album propose un recto et un verso, deux entrées possibles pour déambuler à son gré.

Voici mes pages préférées :

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« Des gares, des trains
Autant de villages
C’est Tokyo »

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« Chaude nuit d’août
Rokurokubi rôde
Immense et fragile »

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« Un goût de sel
Aux lèvres des morts
Umizato »

Surtout celle-ci, inattendue, très drôle !

de_crecy_monde_flottant-9« Chaque été, l’angoisse
Pour les esprits des montagnes :
Rater les soldes »

 Avoir transposé les yôkai dans des décors urbains contemporains est à la fois malicieux et troublant : on goûte à une autre réalité, fantaisiste, volatile et riche. L’imaginaire ainsi que la nature triomphent du tumulte des villes, créent l’impression d’un temps suspendu et donnent à voir, à travers une brèche qui fend le quotidien, des tableaux singuliers et beaux. C’est toute une mythologie japonaise qui affirme sa présence, tout un peuple d’esprits, de créatures qui surplombent la ville et les hommes.

Alors si les yôkai ne vous effraient pas, si vous vous sentez l’âme voyageuse et curieuse de poésie, si le besoin d’imaginaire et d’étonnement est chez vous récurrent, pénétrez sans plus attendre dans ce merveilleux Monde flottant. Vous atteindrez là quelque chose de précieux. Rassembler les yôkai et les haïkus a été pour Nicolas de Crécy une porte d’entrée à « cet esprit si particulier de la culture japonaise », à « cet imaginaire sans limites allié à une poésie crue et douce qui en fait l’essence ».

Et pour explorer davantage :

Carnets de Kyoto (éd. Du Chêne) que Nicolas de Crécy a commencés à réaliser alors qu’il était en résidence à la Villa Kujoyama

La République du catch (éd. Casterman) : il s’agit d’une commande que lui a passée un éditeur japonais de manga. Il y eut publication en plusieurs épisodes dans un mensuel de Seinen, Ultra Jump

Le blog de Nicolas de Crécy 500 dessins : http://500dessins.blogspot.fr/

Les mangas de Shigeru Mizuki publiés aux éditions Cornélius : Kitaro le repoussant, NonNonBâ, Mon copain le kappa
Et Yôkai qui paraîtra le 16 février 2017

Un monde flottant : Yôkai & Haïkus, Editions Soleil, collection « Noctambule », novembre 2016

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Manuel d’exil : comment réussir son exil en trente-cinq leçons : Velibor Colic

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Que j’ai aimé ce livre ! Il m’a beaucoup fait rire, il m’a émue et séduite. C’est bien simple : Velibor Colic, le héros de ce Manuel d’exil, est irrésistible. Extrêmement drôle, généreux, séducteur, le regard acéré, il m’a prise dans ses filets. Il nous raconte son arrivée en France en 1992, après avoir été soldat dans l’armée bosniaque. Le jeune homme de vingt-huit ans qu’il était alors a fui son pays ravagé par la guerre et a traversé la Croatie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne pour se retrouver, complètement seul, sans argent, ne maîtrisant pas le français, à Rennes où il obtient une place dans un foyer de demandeurs d’asile. Animé d’une vitalité incroyable, qui le poussera à devenir écrivain en France, s’octroyant même le luxe d’écrire ses livres directement en français dès 2008, il parvient à supporter le difficile quotidien des réfugiés, celui de la faim, du corps usé, malade, et celui qui confronte à une immense solitude, lui faisant ressentir un véritable « froid métaphysique ». Il faut dire que s’il a laissé tomber les armes en désertant l’armée, il en a néanmoins conservé deux, autrement plus redoutables que les fusils : l’humour et la littérature. Son autodérision est extraordinaire, ne rate jamais sa cible, lui-même, et sa foi en l’écriture ne faiblit pas. En 35 courts chapitres, Velibor Colic, qui ne cesse de brandir l’étendard de la poésie, réchauffant l’âme et reliant les êtres, nous montre comment il a « réussi son exil ».

 

Ce n’était pas gagné, loin de là, quand il descend du train en gare de Rennes :

« J’ai vingt-huit ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre. J’ai aussi mon carnet de soldat, cinquante deutsche marks, un stylo à bille et un grand sac de sport vert olive élimé d’une marque yougoslave. Son contenu est maigre : un manuscrit, quelques chaussettes, un savon difforme (on dirait une grenouille morte), une photo d’Emily Dickinson, une chemise et demie (pour moi une chemise à manches courtes n’est qu’une demi-chemise), un rosaire, deux cartes postales de Zagreb (non utilisées) et une brosse à dents ».

Il a tout laissé derrière lui et sent à présent la solitude lui vriller le cœur :

« Je suis assis sur ce banc public à Rennes. Il pleut de l’eau tiède et bénite sur la ville. Je réalise peu à peu que je suis le réfugié. L’homme sans papiers et sans visage, sans présent et sans avenir. L’homme au pas lourd et au corps brisé, la fleur du mal, aussi éthéré et dispersé que du pollen. Je n’ai plus de nom, je ne suis plus ni grand, ni petit, je ne suis plus fils ou frère. Je suis un chien mouillé d’oubli, dans une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde ».

Il dispose d’une chambre dans un foyer où il rencontre d’autres réfugiés dont certains deviennent ses compagnons d’escapades nocturnes éthyliques, apaisant la soif et la nostalgie. On lui propose aussi des cours de français, ce qui lui est indispensable car il affirme, rien de moins, que son « projet en France » est d’avoir le Goncourt ! Il a en effet déjà publié plusieurs livres quand il vivait en Bosnie. Mais avant, il va falloir apprendre à dire « Où est la Poste ? » et ça, ce n’est guère stimulant pour notre futur lauréat. Le voici alors qui décide de prendre des cours en accéléré auprès d’une petite amie française. Il rencontre dans un bar Isabelle, qui « ressemble à un ange qui louche, une Joconde bien nourrie avec quelques gouttes de sang espagnol et républicain dans les veines ». La belle a chez elle des recueils de poésie qu’il apprend et déclame la nuit avec grand enthousiasme et force bières.

Apprendre le français pour pénétrer la sphère littéraire, devenir un de ces écrivains dont les livres « aux belles couvertures blanches et jaunes » ornent les vitrines des librairies, mais aussi pour trouver son salut. La douleur est grande d’avoir dû quitter son pays et ses proches et le seul moyen de la laisser derrière soi serait de la penser et de l’exprimer uniquement dans sa langue maternelle ; une nouvelle vie en France qui « exige un esprit fort et une mémoire blanche ».

Alors Velibor Colic travaille à l’écriture, et dur. Il quitte Rennes pour Paris – Paris la cruelle où la pauvreté mais aussi les rencontres fraternelles sont au rendez-vous – puis Strasbourg, où il est invité par le Parlement des écrivains. Il passe des nuits entières à taper sur sa machine à écrire, « une magnifique Olivetti » qu’il nomme Hamsun. Il écrit à partir de ses notes rédigées dans ses carnets de soldat, quand il était dans les tranchées, tenaillé par la peur et la rage. Il n’hésite pas à dire de ces écrits, d’un ton vachard :

« Mon manuscrit est un vrai manuscrit, écrit à la main. Lignes serrées, pour économiser la place, j’énumère mes observations, mes pensées et jurons. Je suis en même temps anti-guerre et anti-paix, humaniste et nihiliste, surréaliste et conformiste, le Hemingway des Balkans et probablement LE plus grand poète lyrique yougoslave de notre temps. J’ai juste un détail à régler : mes textes sont beaucoup plus mauvais que moi-même ».

Et de ces nuits finit par naître son premier livre publié en France : Les Bosniaques (éd. Le Serpent à Plumes, 1994). On l’invite alors à France Culture, il devient un « écrivain en résidence », se rend à des dîners où sont également conviés Salman Rushdie et Toni Morrison, part en tournée de promo accompagné de « trois grands philosophes engagés et un grand écrivain français », qui « brillent de mille feux » lorsqu’ils s’adressent aux public et journalistes. Lui, Velibor, est plus en retrait, maîtrisant encore difficilement la langue et se sentant également « dépossédé » : les autres ont l’air d’avoir tellement de choses à dire sur le conflit en ex-Yougoslavie…En dépit des mondanités, de la reconnaissance, il y a la solitude, encore et toujours, de celui qui a tant perdu, le réfugié, le migrant…

Allez-y, précipitez-vous dans votre librairie préférée, assiégez votre bibliothèque jusqu’à ce qu’elle fasse l’acquisition de ce livre, lisez absolument Manuel d’exil de Velibor Colic. C’est un roman généreux, nécessaire, d’une actualité brûlante, qui fait briller les yeux de plaisir et d’émotion.

Je vous invite à lire le beau billet de Joëlle (Les livres de Joëlle) qui a eu la chance de rencontrer Velibor Colic.

 

Publié aux éditions Gallimard en avril 2016

Papa à grands pas : Nadine Brun-Cosme et Aurélie Guillerey

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Dimanche, c’est la fête des pères ! L’occasion rêvée pour vous présenter un album à la fois doux et pétillant, de couleurs et d’imagination, écrit par Nadine Brun-Cosme et si joliment illustré par Aurélie Guillerey. Je suis une inconditionnelle du talent de cette illustratrice, toujours séduite par la générosité de ses couleurs et ses trouvailles drôles et élégantes. On ne peut que fondre en lisant ce « Papa à grands pas », un papa épatant, qui n’a pas son pareil pour rassurer son fiston Mathieu, inquiet ce matin. En effet, « ce matin, la vieille voiture verte de papa a du mal à démarrer. On dirait qu’elle a le hoquet ! » Alors si ce soir elle tombait en panne, comment ferait papa pour venir le chercher à la crèche ? Eh bien c’est simple. Il suffit d’un peu (beaucoup) d’imagination et faisons-lui confiance, « Papa à grands pas » n’en manque pas quand il s’agit de rassurer son petit garçon !

 

A chaque question que lui pose Mathieu, sur comment va-t-il faire, il trouve la réponse. Il ne « sèche » jamais et expose à chaque fois la parade idéale qui va balayer les inquiétudes de son fils. Ainsi, si la vieille voiture ne veut pas démarrer, quoi de plus facile que d’emprunter le « gros tracteur rouge du voisin »…

 

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Et si le tracteur crachote lui aussi un peu trop, zou ! Il n’y a qu’à monter sur « ce gros doudou paresseux qui dort au bout de ta couette » !

 

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Et si le doudou est trop profondément endormi, les oiseaux du jardin se feront un plaisir de faire voler papa dans les airs jusqu’à la crèche :

 

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Etc., etc.…Car il y en a des « et si… » dans la bouche de Mathieu ! Un jeu tendre s’engage alors entre le père et le petit garçon, chacun « rivalisant » de trouvailles pour raconter l’histoire d’un super-papa, prêt à tout pour serrer le soir dans ses bras son fils adoré. Le texte de Nadine Brun-Cosme est doux et rassurant. Un cocon pour les petits enfants qui se posent souvent cette terrible question de l’abandon et du « m’aimes-tu assez ? » Que c’est bon de sentir qu’un adulte aura toujours les ressources nécessaires pour nous retrouver ! Rien ne lui est impossible pour nous couvrir de bisous. Surtout quand on est « Papa à grands pas ».

Une très belle complicité, solide, existe entre ce papa et son p’tit gars. Ils s’amusent autant l’un que l’autre à inventer des péripéties, à apporter des solutions, et à se raconter une histoire. L’imagination vagabonde, fonctionne à plein régime, turbine, s’emballe, faisant se succéder des situations de plus en plus cocasses.

Les illustrations d’Aurélie Guillerey sont le pendant parfait de cette tendre vivacité. Les couleurs éclatantes ravissent le regard et donnent l’irrésistible envie de sourire. Le noir, présent sur chaque page (c’est la marque de fabrique d’Aurélie Guillerey), permet de rehausser l’éclat des couleurs et donnent une tonalité très élégante. Je trouve ce papa très séduisant dans son costume noir, à la silhouette dégingandée. Léger, gracile, rien ne l’arrête pour voler au secours de son petit garçon ! Remarquez, c’est logique, sa vieille voiture verte n’est-elle pas immatriculée « PAPA 007 » ?

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Un papa extra qui s’illustre non par sa force physique, ses exploits sportifs, son ingéniosité en bricolage ou en mécanique ; il n’y a qu’à constater l’état de sa voiture, toit percé, recouvert d’un parapluie pour parer aux averses, et qui est encore encombré du service à thé du matin qu’on n’a pas débarrassé car vite, vite, on est pressé, pour être à l’heure à la crèche et au travail ! Un papa qui s’illustre surtout par la force de son imaginaire et de sa tendresse. Une bien belle transmission s’opère entre ce papa et son petit garçon ! J’ai beaucoup apprécié la couleur rose de la page de garde qui nous fait entrer dans un univers de douceur.

Que j’aime ce papa !! Cela tombe bien, j’en connais un…et je parie que vous aussi !

 

A visiter absolument le site d’Aurélie Guillerey.

A lire son interview dans le blog Agent 002, avec de très belles photos de ses œuvres.

Je vous invite aussi à vous plonger dans l’album Bien fait pour vous (éd. Milan jeunesse) écrit par Claire Clément et qui montre le beau travail effectué sur le noir d’Aurélie Guillerey. Les paysages d’automne et d’hiver sont magnifiques !

Et bien sûr rendez-vous sur le site de Nadine Brun-Cosme, auteure d’albums, de romans, de pièces de théâtre, d’essais. J’aime beaucoup sa série « Grand loup et petit loup » (Les albums du Père Castor), notamment le tome 3 Une si belle orange ; le texte est d’une très belle sensibilité.

 

Publié par les éditions Nathan en mars 2015.

Gustave dort : Albert Lemant

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Aujourd’hui dans Des Livres tous azimuts, il y aura des frissons, du rêve, de l’humour et des gravures…Vos yeux s’écarquilleront d’effroi et se rempliront de merveilles ; alors, prêts ?

Bienvenue dans les nuits de Gustave, des nuits magiques, horrifiques, magnifiques ! Des créatures à foison peuplent son imagination. Elles s’invitent dans sa chambre et l’entraînent dans une folle sarabande, le laissant épuisé et heureux au petit matin, alors qu’il est déjà l’heure de se lever pour aller à l’école…C’est qu’elles sont trépidantes, les nuits de Gustave ! Il y croise Don Quichotte qui l’invite à « trucider des moulins à vent », puis des cosaques sanguinaires, Gargantua, le Chat Botté, Barbe-BleuePerrault, Rabelais, Cervantès, la « sainte Russie » mis côte à côte, cela vous rappelle quelque chose ? Eh oui, nous sommes bel et bien dans l’univers de Gustave Doré. Albert Lemant lui rend un hommage des plus réussis et des plus gourmands. Ses gravures (Albert Lemant a été taille-doucier), exposées dans ce bel album au format à l’italienne, démontrent une imagination truculente et débridée, qui pioche aussi du côté d’Alice au Pays des Merveilles, Tintin, Max et les Maximonstres, Little Nemo, et d’autres…Un formidable voyage dans le rêve, le conte, le bizarre, les peurs délicieuses…Allez, embarquez-vous !!

 

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C’est le musée d’Orsay qui a passé commande auprès d’Albert Lemant pour cet album jeunesse s’inscrivant dans l’exposition Gustave Doré (1832-1883) : l’imaginaire au pouvoir (18 février au 11 mai 2014). Il faut dire qu’Albert Lemant aime les musées. Cet illustrateur, qui est aussi graveur, peintre, écrivain jeunesse et adulte (cf. Bogopol, qu’il a signé Albert Lirtzmann aux éditions Panama, aujourd’hui malheureusement défuntes et qui avaient réédité des titres de La Bibliothèque de Babel, collection de littérature fantastique dirigée par Borges) a conçu et mis en scène plusieurs expositions. En compagnie de son épouse Kiki, plasticienne de son état, il a investi le musée du Quai Branly en 2010 lors de l’exposition La Route des Jeux, présentant une collection de jeux ayant appartenu au pirate Jean Lafitte, qui a réellement existé. Et toujours avec Kiki, il a installé des girafes géantes en papier mâché sorties tout droit de l’album Lettres des Isles Girafines (éd. Seuil Jeunesse), dénonçant avec humour et poésie le colonialisme en Afrique ; on trouve ses girafes actuellement au Museum d’histoire naturelle de Toulouse pour l’exposition Il était une fois…Girafawaland.

Il était normal qu’Albert Lemant croise la route de Gustave Doré, tous deux experts en diversifications artistiques, fantaisistes, oniriques, tous azimuts !

 

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Don Quichotte, Gustave Doré

 

De plus, Albert Lemant fait figure d’autorité en matière de contes et de frousse puisqu’il est l’auteur, entre autres, du désormais classique ABC de la trouille (éd. L’Atelier du Poisson Soluble, 2011) que l’on montre à nos bambins ravis et effrayés dans les écoles maternelles (ma fille Jeanne peut en témoigner) et du désopilant Les Ogres sont des Cons (éd. L’Atelier du Poisson Soluble, 2009).

Un univers « lemantesque » foisonnant, qui se nourrit de plaisirs, de frayeurs, de rêveries échevelées, de voyages au bout du monde et au bout de la nuit, et qui se déploie superbement dans cet album Gustave dort. Les gravures en double-page fourmillent de détails qu’on ne se lasse pas d’observer. Votre petit(e) compagnon (compagne) à qui vous ferez la lecture se sentira l’âme d’un(e) explorateur(trice) en plongeant dans ces illustrations qui remplissent les yeux, prendra plaisir à s’identifier au jeune Gustave et à reconnaître les personnages qu’il croise : oh ! Le Chat Botté ! Et ici, l’Ogre ; là, la Reine de Cœur d’Alice au Pays des Merveilles, ou encore les Trois Brigands (hommage délicieux à Tomi Ungerer). Et tout ce beau monde de s’interpeller, de se courir après, de se faire peur, de se faire tomber dans la marmite de l’un ou dans la grande bouche de l’autre, de se battre comme des chiffonniers…

L’on cherchera également au beau milieu de ce tumulte, dans chaque page, une petite poule couleur « vert Véronèse » qui accompagne Gustave. Voici ce qu’en dit Albert Lemant :

« On raconte qu’un jour en Alsace un petit garçon à qui on avait donné de la peinture mais pas de toile pour peindre n’aurait rien trouvé de mieux comme « support » qu’une petite poule qui passait par-là, et l’aurait entièrement recouverte de vert Véronèse. »

« On dit aussi que cette poule verte hanta longtemps les rêves, souvent noirs, du petit garçon qui, né en 1832, deviendra un des plus grands illustrateurs de tous les temps ».

 

On note ainsi que Gustave Doré était alsacien, de même que Tomi Ungerer (moi-même, du côté de mon père, mais bon, je reste complètement objective quant à la qualité de cet album 🙂 ), ce qui explique les maisons à colombage en toile de fond et les Alsaciennes à coiffe côtoyant Don Quichotte ou le Grand Méchant Loup.

 

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J’espère vous avoir donné l’envie de vous (re)plonger dans l’œuvre d’Albert Lemant. Si vous êtes un tant soit peu sensibles à l’humour, à l’imaginaire, au jeu, au beau, visitez illico le site de l’auteur.

A découvrir aussi (je ne l’ai pas encore lu malheureusement) son dernier ouvrage Encyclopédie de cet idiot d’Albert (toujours à L’Atelier du Poisson Soluble, septembre 2015).

Et rendez-vous à l’exposition de l’Abbaye de l’Escaladieu à Bonnemazon (Hautes-Pyrénées) intitulée Les Très riches heures (non pas du duc de Berry) de Kiki et Albert Lemant !

Publié en coédition par L’Atelier du Poisson Soluble et le Musée d’Orsay (janvier 2014)

Envoyée spéciale : Jean Echenoz

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Ne comptez pas sur moi pour vous raconter l’histoire d’Envoyée spéciale , le dernier opus de Jean Echenoz. Ce n’est pas par mauvaise volonté mais je ne le peux pas ! Trop en dire serait vous gâcher le plaisir de lecture car Jean Echenoz s’en est donné à cœur joie dans les rebondissements, les péripéties, les chausse-trappes, les virevoltes, les révélations, les mauvaises surprises qui vous attendent au coin de la rue, les bonnes aussi, les coups de foudre, les coups de bambou, les coups de théâtre, les coups du sort et les coups tout court (car oui, il y a des scènes de bagarre ! ) J’en ai pris plein les yeux, je n’ai pas tout compris, je me suis faite baladée, de Paris à Pyongyang, en passant par la Creuse, et j’ai adoré ça !

Voici tout de même quelques éléments pour vous donner la tonalité du récit et aussi l’envie de le découvrir. Cette « envoyée spéciale » est Constance, jeune femme vivant dans le très chic XVIème parisien et qui, alors qu’elle rentre chez elle, se fait enlever en pleine rue et en plein jour par un curieux trio. Par qui, pourquoi, elle ne le sait pas et nous non plus. Elle se fait séquestrer dans une ferme isolée de la Creuse et ses ravisseurs s’avèrent plutôt maladroits et sympathiques. On est plus dans un film avec Pierre Richard qu’avec Robert de Niro ou Joe Pesci. Il y a néanmoins quelques instants de bravoure, de tension, et même une phalange de petit doigt coupée mais Constance ne semble pas vraiment en danger. Les âmes sensibles, dont je fais partie, peuvent se détendre. Constance et ses curieux acolytes poursuivront leur périple jusqu’à Pyongyang où là, il leur faudra rien de moins que « déstabiliser la Corée du Nord » en se frottant au redoutable leader mégalomaniaque (c’est de famille) Kim Jong-un.

Parallèlement, on suit les turpitudes du mari de Constance, Lou Tausk, auteur-compositeur du tube planétaire « Excessif », peu pressé de payer la rançon qu’on lui demande s’il veut revoir sa femme. Il y a également d’autres personnages : des hommes de l’ombre, des hommes de pouvoir, un avocat d’affaires (troubles), son assistante dévouée et hyper-sexy, un conducteur de métro beau comme un dieu de l’Olympe, une coiffeuse tatouée et peu commode, un parolier dépressif…toute une galerie de personnages mis joyeusement en scène par un Jean Echenoz en verve qui les fait se côtoyer, se croiser, se rencontrer, s’éviter, dans un ballet un peu foutraque mais sans le moindre faux-pas. Il y a du monde qui se bouscule au portillon mais Jean Echenoz peut compter sur un habile narrateur qui mène la danse.

Voici par exemple comment il introduit un personnage :

« Général Bourgeaud, soixante-huit ans, ancien du service Action – planification et mise en œuvre d’opérations clandestines -, spécialisé dans l’infiltration et l’exfiltration de personnalités sensibles dans un but de renseignement. Visage abrupt et regard sec, mais ne nous attardons pas : nous reviendrons plus tard sur son apparence. Au vu de son ancienneté, sa hiérarchie a peu à peu allégé ses responsabilités même si, en égard aux services rendus, on lui a laissé l’usage de son bureau, de son planton, l’intégralité de son traitement mais pas son véhicule de fonction. N’entendant pas être entièrement mis au rancart, Bourgeaud continue cependant à monter en douce quelques opérations pour ne pas perdre la main. Pour s’occuper. Pour la France ».

Et pour Constance :

« Chemiser bleu tendu, pantalon skinny anthracite, souliers plats, coupe à la Louise Brooks et courbes à la Michèle Mercier – ce qui n’a pas l’air d’aller très bien ensemble mais si, ça colle tout à fait (…) »

L’art du portrait qui en quelques lignes permet de définir le rôle et la place du personnage. C’est à la fois concis, fluide, élégant et drôle : la touche « échenozienne » qui offre au lecteur une écriture très plaisante.

On le voit aussi, le narrateur n’hésite pas à intervenir, ce qui crée une sympathique proximité. Ce narrateur qui se montrera par moments bavard, usera et abusera de digressions, au fil de ses humeurs.

Alors, si vous aimez perdre pied, être un peu égarés par un narrateur volontiers disert, si vous appréciez que l’on vous ménage des pauses lorsque le récit s’emballe (et il s’emballera croyez-moi car il s’en passe des choses…), Envoyée spéciale est pour vous !

Vous ne saurez pas vraiment ce que vous lisez (roman d’espionnage ? comédie musicale ? histoire d’amour romanesque ? rêve éveillé ?) mais vous y prendrez beaucoup de plaisir.

J’avoue avoir été un peu surprise par les libertés que s’accorde l’écriture dans les digressions, plus habituée à des récits brefs et resserrés comme la trilogie Ravel, Courir et Des éclairs, ou 14, mais j’ai lu ici et là que pour Envoyée spéciale Jean Echenoz s’était « lâché », alors…Eh bien je dis bravo, j’ai passé un excellent moment.

Et je ne suis pas la seule : je vous invite à lire le billet d’ynabel dans son blog Marcelpois !

Sorti aux éditions de Minuit (janvier 2016)

Nini Patalo T5 : Nous revoilou !! Lisa Mandel

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Aujourd’hui, c’est vendredi ! Et c’est le jour de Nini ! J’avais envie de passer un bon moment de rigolade avec ma « Janou », 9 ans. C’est grâce à elle que j’ai pu découvrir Lisa Mandel, et je ne l’en remercierai jamais assez !

Des amis en effet bien intentionnés lui avaient offert ce 5ème opus des aventures déjantées de Nini Patalo. Ce fut le coup de foudre, et puis on a découvert Eddy Milveux, et ensuite HP (bon, là, c’est plus pour les adultes) et bientôt je m’envolerai avec Jeanine Broutte et Ghislaine Gazon dans Super Rainbow ! Et bien sûr, il y a La Famille Mifa et Les Nouvelles de la Jungle (de Calais) qu’on peut lire quotidiennement dans Le Monde et qui achèvent de démontrer le grand, grand talent comique de Lisa Mandel, même au cœur des événements les plus graves. Foncez, lisez Lisa ! Cela fait tellement de bien. Elle est irrésistible, vive, et son regard d’une grande justesse.

Revenons à Nini. Nini Patalo est une petite fille qui un jour, quelque peu énervée, a souhaité la mort de ses parents. Ce souhait lui fut accordé aussitôt. Heureusement, elle ne resta pas seule : apparut une nouvelle famille, composée du canard André, d’une petite chose violette qui ne dit que « Patalo », d’une patate appelée « Fritoune » et du tendre Jean-Pierre, authentique homme préhistorique décongelé qui a su s’adapter parfaitement ( ? ) à la vie moderne et dont les recherches culinaires laissent perplexes ! S’improvisant cuisinier de la famille, il espère devenir un véritable cordon-bleu. Sa recette fétiche est le Choudamion au jambon (CHat OUblié DAns le MIcro-ONdes). Il fait le ménage également, et revêt pour l’occasion un charmant tablier rose et un fichu du meilleur effet…

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Cette famille recomposée est plutôt hilarante. Les aventures sont complètement débridées, Lisa Mandel ne s’interdit rien, et c’est jouissif. Cela part en vrille et tout lecteur, jeune ou plus âgé (hum ! cela ne nous rajeunit pas…), appréciera. Lisa Mandel semble beaucoup s’amuser et varie allègrement les formes : les péripéties de ses héros se déclinent tantôt en strips, tantôt sur plusieurs pages en intermèdes délirants qui mettent en valeur d’autres personnages, plus secondaires, de l’univers de Nini.

 

Je ne sais pas si ce tome est le plus drôle de la série mais en tout cas il nous a beaucoup plu à ma fille et moi. Il y a même une grande tendresse entre les personnages, ce qui justifie pleinement la présence de Nini Patalo dans cette rubrique Sweet Friday !

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Mention spéciale aux incursions de l’irrésistible duo La Mort-La Maladie (si ! si ! ) et à Plipli et Ploplo, les deux héros du livre préféré de Jean-Pierre, Plipli et Ploplo trouvent un pamplemousse : on oscille entre la naïveté rose bonbon et le psychédélisme le plus barré. N’oublions pas non plus l’épisode horrifique Echarpe de tripes qui procure bien des frissons à Nini et André !

 

A lire et à faire découvrir au plus vite, on vous remerciera !

Paru aux éditions Glénat coll. « tchô ! »
Mars 2009

 

Le Caillou : Sigolène Vinson

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Coup de foudre absolu pour ce roman de Sigolène Vinson. Tous les ingrédients sont présents pour faire de ce livre un véritable compagnon de route : intelligence, humour, mise à distance, singularité et générosité. Nous suivons les dingues péripéties d’une femme qui avait pourtant décidé de se fermer au monde : tout ce qu’elle souhaitait, c’était de devenir un caillou. Mais l’inattendu s’invite et voici que sa vie s’emballe…

Je ne connaissais pas du tout Sigolène Vinson. Elle avait déjà écrit une auto fiction (J’ai déserté le pays de l’enfance, éd. Plon) et des romans policiers en tandem avec Philippe Kleinmann (Bistouri Blues et Double Hélice aux éditions Le Masque). J’ai eu envie de lire son livre quand je l’ai vu sur une table en librairie : l’histoire m’a plu, j’ai trouvé la couverture jolie et j’ai vu le logo des éditions Le Tripode dont j’affectionne particulièrement le catalogue, rassemblant des œuvres littéraires très singulières.

C’est donc intriguée que j’ai découvert les premières pages du Caillou. J’ai d’abord éprouvé un peu d’appréhension car le personnage n’est franchement pas d’emblée sympathique. Puis, ses propos d’ourse mal léchée m’ont amusée et je me suis beaucoup attachée à elle et à sa vision du monde. L’intrigue de plus commence vite et on devine que le rythme va aller crescendo. Sigolène Vinson a le talent de n’avoir pas « posé » son personnage en présentant d’abord des traits de son caractère, plutôt neurasthénique, ou des rituels de son morne quotidien. Cela aurait pu nous faire fuir ! C’est par le biais de ses souvenirs, qui entrecoupent l’action déjà en cours, que l’auteur va définir son personnage-caillou.

Enfermée, planquée dans son petit appartement parisien (elle ne peut pas, et ne veut pas, vivre, sa seule tentation c’est l’Ennui), notre héroïne fait la connaissance inattendue d’un de ses voisins, M. Bernard. Employé de l’Imprimerie Nationale à la retraite (il était assigné à la fonte des caractères), il se consacre aujourd’hui entièrement à la sculpture et s’est mis en tête de prendre sa voisine comme modèle (elle qui veut devenir caillou, cela tombe plutôt bien). Il meurt quelque temps après leur rencontre. Ressentant tout à coup un grand vide et désireuse de découvrir pourquoi il l’avait choisie et pourquoi il se rendait si régulièrement en Corse, elle sort de sa paralysie et s’achète un billet d’avion direction le sud de la Corse. Elle rencontre de « véritables Corses » (les portraits sont irrésistibles) et se retrouve dans la maison d’hôtes que fréquentait son cher voisin (une maison construite autour d’un rocher, tiens donc…)Elle trouve le secret de M. Bernard qui lui a légué un véritable cadeau pour qu’elle vive enfin, mais ce cadeau est très étonnant.

Je tairai la suite pour ne rien dévoiler et vous laisser goûter aux réjouissantes surprises de ce roman. Je me suis complètement plongée dans cet univers insolite, drôle, quelquefois vachard, mais aussi ouvert et solaire, en harmonie avec la nature vivifiante et odorante de cette Corse que découvre l’héroïne.

Lisez Le Caillou et offrez-le, partagez-le. Chacun(e) se reconnaîtra forcément dans ce personnage qui se protège en se coupant du monde, en se voulant aussi solide que la pierre et glissante comme un galet, et ne peut s’empêcher, quand même, d’aller vers les autres.

Publié aux éditions Le Tripode en mai 2015

Zaï zaï zaï zaï : Fabcaro

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Cette bande dessinée parue aux éditions 6 pieds sous terre est un régal, à lire et à offrir à tout prix ! Son auteur Fabcaro est un maître de l’humour et excelle dans l’absurde. Il nous entraîne dans un road movie haletant et loufoque qui brocarde notre société de consommation.

Le point de départ est génial : un homme, au moment de payer ses courses, s’aperçoit qu’il a oublié de prendre sa carte de fidélité du magasin ; en effet, elle est restée dans la poche d’un pantalon qu’il a mis au sale. Horreur et stupéfaction !! Comment peut-on ne pas avoir la carte du magasin ? La sécurité intervient et l’homme, paniqué, s’enfuit, après avoir menacé le vigile avec un poireau. Les médias s’emparent avidement de l’affaire, d’autant plus que l’individu fait partie d’une catégorie suspecte aux yeux de l’opinion : il est auteur de BD.

La police déploie alors tout son arsenal pour arrêter celui qui est quasiment devenu l’ennemi public n°1. Notre pauvre dessinateur a tout juste le temps d’appeler ses enfants pour leur assurer qu’il n’est pas un dangereux criminel, avant de s’embarquer dans une folle cavale.

Tout le monde y va alors de son commentaire : les voisins, les commerçants, les piliers de comptoir, les bobos éclairés…Les dessinateurs de BD sont des gens qu’on connaît mal, ils ont forcément des zones d’ombre plus ou moins dangereuses pour les honnêtes gens…Ces considérations donnent lieu à une série de sketchs hilarants. Chaque page, composée de 5 à 6 cases, met en scène les travers de notre société : l’ultra marketing, l’emballement médiatique, le repli sur soi, et même la dictature du divertissement ( tu devras aller au karaoké et t’y amuser !) J’ai ri vraiment à chaque page, les chutes étant très efficaces et le rythme excellent. L’humour potache alterne allègrement avec le 2ème, voire le 3ème degré. Le dessin, neutre (les personnages ont peu d’expressions, c’est surtout la silhouette qui compte), et l’utilisation de la bichromie pour la couleur, contrastent délicieusement avec les propos et situations les plus loufoques.

J’avais découvert Fabcaro avec son album On n’est pas là pour réussir (éditions La Cafetière, 2012) qui montrait le parcours du combattant que subit l’auteur de BD pour se faire connaître : aller à la rencontre de ses lecteurs n’est pas toujours simple, et les festivals et dédicaces peuvent se révéler de redoutables guet-apens, pas franchement « glamour ». J’avais déjà été séduite par son humour, sa faculté à relever le « détail qui tue », la situation drôle et embarrassante, sans agressivité, avec justesse.

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Si vous n’avez pas encore lu Fabcaro, vous avez de la chance de pouvoir le découvrir ! Je vous souhaite, à vous et à vos zygomatiques, un savoureux moment de lecture.

Zaï zaï zaï zaï, paru en mai 2015 aux éditions 6 pieds sous terre